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On put, au reste, deviner bientôt à Paris quel accueil aurait fait la maçonnerie allemande à cette ridicule citation : un démêlé qu’elle eut avec les Frères suisses prouvait à ce moment même, d’une façon fort édifiante, ses susceptibilités d’humeur. La grande loge Alpina, composée des députés de tous les ateliers maçonniques de la Suisse, s’étant réunie à Lausanne le 3 septembre 1870, pour élaborer un long manifeste contre la guerre. Findel, dont le journal maçonnique la Bauhütte était fort apprécié dans les loges d’outre-Rhin, demanda des explications à l’Alpina.


Nous avons été, déclara-t-il, amèrement déçus par ce manifeste, qui blesse le sentiment national allemand. Nous croyons que c’est un devoir maçonnique incontestable de se garder d’une immixtion contraire aux lois maçonniques dans les disputes des partis politiques… Il est injuste de reprocher à la nation allemande d’avoir livré à la boucherie l’élite de sa population sans avoir préalablement essayé une entente ou demandé une médiation… Il est faux qu’on ait fomenté une inimitié trompeuse entre deux grandes races… Il est faux que nos gouvernemens prétendent disposer du sort de leurs sujets et des destinées de l’Europe, car, dans les circonstances actuelles, le peuple allemand est uniformément d’accord avec ses gouvernemens… Nous regrettons que la grande loge Alpina voie les événemens au travers de lunettes aussi troubles et mette les deux nations dans le même sac.


On ne pouvait plus crûment signifier à la maçonnerie universelle, dont le Grand-Orient de France se flattait d’être une docile ramification, que l’on était Allemand avant d’être maçon ; que l’humanitarisme maçonnique, en se mêlant de la guerre franco-allemande, se mêlait de ce qui ne le regardait point ; que le patriotisme germanique avait des droits supérieurs ; et que l’on recommencerait de tonner, en loge, contre les lauriers souillés de sang, lorsqu’on se serait, soi-même, aux dépens de la France, couronné de ces lauriers.


VIII

Elles étaient bien lointaines, encore que toutes proches, les heures d’ivresse humanitaire que l’on coulait doucement, à la loge Concordia, sous les naïfs auspices du Grand-Orient de France, entre maçons français et maçons allemands ! On mit quelque temps, dans les loges françaises, à se remettre d’un pareil coup. Caubet, qui approuvait, lui, le manifeste de l’Alpina, prit l’Allemagne à partie, avec la vivacité de l’amitié trompée ; il lui fit savoir qu’elle entrait dans l’âge de fer de la civilisation, et versa des larmes, non