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européen. » Il ne se contentait point, lui, de la guerre à coups d’épingle que l’opposition républicaine dirigeait contre l’armée ; il avait, dans son journal La Marseillaise, créé une rubrique spéciale, qu’il qualifiait de tribune militaire ; et il se flattait d’avoir rencontré beaucoup de sympathies parmi les soldats et parmi les sous-officiers. Parlant de lui à la troisième personne, en son style heurté et volontiers incorrect, il poursuivait :


Quant aux menaces des colonels et des états-majors, de tous ces traîneurs de sabres, ignorans de la guerre, abêtis par la triste oisiveté des casernes, bons tout au plus à massacrer des ouvriers désarmés dans les rues d’Aubin, ou des Arabes armés de fusils à pierre dans la Kabylie, et à fuir ignoblement devant les Prussiens ; quant aux colères de cette Une fleur du jésuitisme militaire et du bonapartisme, Flourens avait profondément méprisé menaces et colères. Ainsi avait commencé à se moraliser l’aimée : comprenant l’abjection de leurs chefs, l’infamie du despotisme qu’ils étaient chargés de défendre contre la nation, les meilleurs soldats ne voulaient plus du service, désertaient en foule.


Sedan survint : Flourens constata que cette journée tuait l’Empereur, proclama qu’elle sauverait la France, et prophétisa qu’elle allait fonder la République universelle, les Etats-Unis d’Europe. Immédiatement il se voulait mettre à l’œuvre, et le plan qu’il proposait à M. Rochefort était, en propres termes, conçu comme il suit :


A l’étranger, l’appel immédiat à la révolution, des barricades à Berlin et à Vienne, l’Espagne arrachée à la trahison de Prim et lancée hardiment dans les voies républicaines, Garibaldi, aidé de 20 000 hommes, de fusils et d’argent, proclamant à Rome la République italienne, des agens envoyés à Londres pour y dire au peuple esclave des travailleurs les principes nouveaux, la solidarité des peuples, l’égalité entre tous les hommes, et jeter bas l’édifice vermoulu de la féodalité normande.

A l’intérieur, la destitution immédiate et la mise en arrestation de tous les états-majors bonapartistes, la rentrée dans le rang de tous les officiers, les Hoche et les Marceau sortant du rang par l’élection… Saint-Cyr n’est qu’une école jésuitique de cadets de l’ancien régime.


Le gouvernement de la Défense nationale n’adhéra pas au programme de Flourens : alors, jugeant son héroïsme incompris, il attacha son nom à la journée du 31 octobre 1870 et aux débuts de la Commune. Dans toute la France d’alors, un seul homme à ses yeux faisait son devoir : c’était Garibaldi. Que ne le laissait-on, lui Flourens, ou que ne laissait-on son cher Garibaldi ramasser en tous lieux, sans appareil militaire, des bataillons de