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coup d’État dans l’armée : à un général et à un colonel, il substituait deux civils, dont l’un était le fils même de Duportal. On déclarait, à Lyon, que rien n’est plus contraire au droit démocratique ni plus dangereux pour la souveraineté du peuple, que l’organisation autoritaire et hiérarchique de l’armée ; on déclamait dans les rues contre le militarisme ; on s’échauffait, autour des autels élevés à la patrie, en voyant affluer, au son du canon, les engagés volontaires, dont quelques-uns étaient éclopés ou amputés ; et c’était faire preuve de mauvais esprit, de constater qu’un certain nombre renouvelaient plusieurs fois leurs engagemens dans la même journée, afin de toucher triple ou quadruple prime. On répétait que « le temps des armées permanentes est passé, que l’heure des armées populaires allait sonner à l’horloge de la victoire ; » et par une dernière réminiscence de 1792, on faisait bon accueil à une lettre publique, datée de Hambourg et de novembre 1870, et dans laquelle un officier captif, plus tard sénateur, appelait de ses regrets et de ses vœux l’époque où des commissaires civils, armés des lois de la Convention, menaçaient la tête des généraux et ne leur laissaient d’autre alternative que de vaincre ou de mourir.

La tradition révolutionnaire, encore, et les récentes leçons de l’humanitarisme, conviaient le parti républicain à être aussi hospitalier pour les étrangers qu’ombrageux à l’endroit de l’armée nationale. Crémieux proposait qu’on formât un corps de cavaliers polonais. En vain Jules Favre, Trochu, Fourichon, voulaient-ils éconduire tout officier ou soldat étranger, et nommément Garibaldi : Crémieux, encore, passait outre. Il semblait que ce personnage, auquel une bizarre destinée, de vingt en vingt ans, réservait l’héritage provisoire des émeutes, demeurât fasciné, dans son cabinet de Tours, par l’emphatique souvenir de la réception qu’en 1848, membre du gouvernement provisoire, il avait faite aux délégués de la franc-maçonnerie. « La République, leur avait-il dit, fera ce que fait la maçonnerie ; elle deviendra le gage éclatant de l’union des peuples sur tous les points du globe, sur tous les côtés de notre triangle ; et le grand architecte de l’Univers, du haut du ciel, sourira à cette noble pensée de la République, qui, se répandant de toutes parts, réunira dans un même sentiment tous les citoyens de la terre. » Les aventuriers exotiques qui venaient offrir à la Défense leur parole ou leurs bras n’étaient-ils pas les avant-coureurs de la République universelle ?