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l’heure longuement augurée où l’on verrait les soldats « mettre bas les armes en s’embrassant, et se demander entre eux pourquoi verser leur sang, comme si la vie n’était pas douce pour ceux qui aiment ! » Plusieurs protestations françaises contre la guerre furent déposées sur le bureau du Congrès. L’une venait de Châtellerault, et l’orateur qui l’apportait gémissait sur « ces soldats de réserve envoyés peut-être à la boucherie comme les bestiaux que notre pauvre agriculture ne peut plus nourrir. » L’autre était signée d’un certain nombre de Lyonnais ; elle maintenait que la guerre était l’œuvre de deux monarchies, non de deux peuples, et se flattait de déchirer les oreilles des hommes de massacre en livrant à tous les échos cette parole magique : Vivent les États-Unis d’Europe ! Une troisième protestation avait vu le jour à Troyes, et M. Mocqueris, gendre d’Eugène Pelletan, s’était chargé d’en être l’intermédiaire. Pour plus de solennité, Eugène Pelletan écrivit une lettre à Barni, dont le Congrès entendit lecture :


La voilà donc déclarée, cette guerre, qui n’est après tout qu’une apostille sanglante au plébiscite : c’est la guerre qu’il faut combattre, et notre champ de bataille à nous sera le progrès de la paix et de la liberté. Une partie de la presse démocratique et de l’opposition parlementaire donne dans le piège du chauvinisme… Notre patrie à nous, de l’un comme de l’autre côté du Rhin, c’est la liberté, c’est la fraternité des peuples ; et, si les peuples régnaient, ils ne s’égorgeraient pas en ce moment pour le compte et dans l’intérêt des dynasties…


Louis Mie, plus tard député républicain de la Gironde, semblait verser des pleurs dans les flots du Rhin, qui, « limpide aujourd’hui et troublé demain, porterait vers la mer du Nord l’horrible tribut des colères monarchiques, » et rêvait, au grand banquet des Etats-Unis d’Europe, la fraternisation des peuples réconciliés. M. Chassin, en voyant à Bâle les deux numéros de son journal la Démocratie qui contenaient l’ensemble des protestations françaises, ajoutait : « Nous, républicains Français, nous sommes de tout cœur avec vous, républicains d’Allemagne, d’Espagne, d’Italie, de Suisse, d’Europe, du monde entier ; » et il manifestait l’espérance que « la lutte, même en se prolongeant, ne risquerait pas de devenir nationale ni d’un côté ni de l’autre. » Deux Polonais, présens au Congrès, engagèrent entre eux une joute singulière : l’un, qui s’appelait le comte de Hauké, et qui, depuis l’insurrection polonaise de 1863, s’était dénommé Bossak, c’est-à-dire va-nu-pieds, refusa de protester contre l’explosion