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Il fut entendu qu’elle avait été amenée par les « provocations insensées » de l’Empire : cet aphorisme fut inscrit parmi les articles historiques du catéchisme républicain. Un quart de siècle après, le prince de Bismarck, en une audacieuse confidence, se complut à s’accuser ; mais les légendes qui servent les passions sont immortelles comme les passions mêmes ; et le verdict porté par les historiographes officiels du Quatre-Septembre sur le ministère du 2 janvier demeure soustrait à toute révision, encore que la révélation du faux commis à Ems mérite à tous égards d’être réputée « fait nouveau. »

En toute hâte, à l’annonce du dernier « crime napoléonien, » la Ligue de la Paix et de la Liberté convoqua une réunion extraordinaire à Bâle, pour le 15 juillet. L’invitation était signée de Barni, un Français, de Gœgg, un Allemand, de Rollanday, un Suisse. Il y eut peu d’affluence à ce Congrès : les uns s’abstinrent par empêchement, les autres par découragement. On ne pouvait se dissimuler que la démocratie allemande se mettait à la remorque du roi de Prusse : la déception était lourde, mais d’autant moins avouable qu’elle était plus cruelle. De toute évidence, la Ligue de la Paix et de la Liberté n’avait servi de rien : la guerre qui commençait à se dérouler en était une preuve sanglante. Fribourg et Nostag, membres du Congrès, demandèrent qu’on nommât deux délégués, qui rendraient visite, d’urgence, aux généralissimes des armées ennemies et qui les sommeraient, au nom de l’inviolabilité de la vie humaine, de déposer les armes : un meeting de députés, nommés par le suffrage universel des deux nations belligérantes, trancherait le différend. La Ligue de la Paix et de la Liberté sentit que Fribourg et Nostag s’aveuglaient sur le prestige dont elle pouvait jouir ; elle ne s’exposa point au ridicule d’être éconduite, et repoussa leur projet. On était réduit, dès lors, à des protestations stériles et à des vœux platoniques. Barni, tout étonné qu’Allemands et Français commençassent de se battre sans en demander licence à Genève, déclara que la faute en était aux souverains. Mme Maria Goegg rejeta la responsabilité sur les vices de l’instruction primaire, qui ne dressait point les enfans à « craindre les uniformes, emblème du sang répandu ; » qui, tout au contraire, excitait en leur jeune âme « l’amour du militaire ; » qui ne prédestinait point chaque soldat à « comprendre qu’il est avant tout un homme, que sa vie est une chose sacrée, et qu’il s’appartient ; » et qui retardait, ainsi,