Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/814

Cette page a été validée par deux contributeurs.

protubérances et les régions circumsolaires tous les jours, en dehors des éclipses. Il lui suffisait pour cela de promener son spectroscope sur le bord du disque solaire. Dès le lendemain, la méthode qu’il avait conçue fut appliquée, et il put revoir les protubérances de la veille, d’ailleurs profondément modifiées ; et depuis ce jour jusqu’au 4 septembre, l’heureux inventeur put se plonger dans l’étude des phénomènes qu’il était donné à lui seul de voir ; il put, à loisir, dresser des cartes de ces formations mobiles et changeantes, et jouir, en quelque sorte, d’une éclipse totale de dix-sept jours !

Les lettres contenant le récit de cette mémorable découverte n’arrivèrent à Paris qu’à la fin d’octobre, à peu près en même temps que l’annonce d’une découverte semblable, faite, le 20 octobre, en Angleterre, par M. Lockyer, qui depuis quelque temps était sur la voie d’une méthode fondée sur les mêmes principes. La méthode elle-même a été plus tard modifiée par M. Huggins. M. Janssen n’en reste pas moins le premier qui ait réussi à voir les protubérances en plein jour, inaugurant ainsi une ère nouvelle des études solaires. Il faut, pour comprendre l’enthousiasme qu’excita cette découverte, se reporter aux discussions auxquelles ont donné lieu les protubérances ou proéminences roses, entrevues pendant quelques éclipses totales ; il faut relire notamment la célèbre notice d’Arago sur l’éclipsé du 8 juillet 1842. On savait, dès cette époque, que le voile qui nous cache les entours du soleil est tissé de lumière : ils sont noyés dans l’éclat de l’atmosphère terrestre illuminée par les rayons solaires ; pour les apercevoir, il faudrait affaiblir, éteindre la lueur atmosphérique qui nous éblouit. Mais comment s’y prendre ? Les moyens que propose Arago, — ascension d’une haute montagne, emploi d’écrans circulaires qui cachent le soleil, — n’offraient guère de chances de succès, et je ne sais si l’on a seulement essayé d’y recourir. Le spectroscope seul permet d’obtenir cet affaiblissement nécessaire du fond éclairé, en étalant la lumière blanche qu’il décompose en ses élémens, tandis que la lumière monochromatique d’une protubérance reste intacte et ainsi devient visible.

Le spectre d’une protubérance se compose, à la vérité, d’une série de raies multicolores, — rouge, verte, bleue, violette ; — mais ces lignes brillantes, qui par leur position correspondent à des raies noires du spectre solaire, se trouvent séparées par de larges intervalles, et des prismes d’une dispersion suffisante les