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ont apporté des Universités ce goût et, je dirais presque cet art de vivre et de penser en commun. C’est la force et la faiblesse des Universités : on y excite l’intelligence et on l’y gaspille en perpétuelles causeries. On y dit plus de choses de neuf heures à minuit qu’on n’en fait dans tout le reste du jour. Quelquefois il ne reste rien, le lendemain matin, de ces pensées nocturnes, si ce n’est l’intelligence qui a pensé et qui vaut un peu mieux qu’avant. Le peuple a les mêmes besoins de sociabilité, et plus grands encore. Mais comment les satisfaire ? Est-ce que la vie de salon, est-ce que la vie de foyer est possible à des gens qui s’entassent pêle-mêle, sept ou huit, dans une ou deux chambres sordides ? Où iront-ils ? Le public house sera leur club ; le music hall leur théâtre. Un homme qui connaît l’East m’a assuré qu’ils ne vont pas au cabaret pour boire, mais pour se réunir. C’est ici qu’interviennent nos amis du settlement : « Venez chez nous pour discuter et pour rire. Vous y serez plus confortablement qu’au public house et vous vous amuserez mieux qu’au music hall. » Je suis obligé de dire que ceux qui répondent à cet appel ne sont pas toujours ceux auxquels il est adressé. On invite l’artisan : c’est le commis de magasin, le boutiquier, le petit bourgeois qui se présente pour profiter des avantages du settlement. Peu à peu, cependant, l’ouvrier se décide. Il s’approche, d’abord un peu méfiant, et s’aperçoit qu’on ne l’a pas trompé ; finalement il est conquis. Oh ! pas d’une manière définitive ! Il y a des jours où le vaurien, le hooligan reprend le dessus, et les membres du settlement apprennent que leur protégé est en prison, à la suite d’une rixe homicide. Ou bien c’est la petite rôdeuse qu’on avait convertie et qui arrive à la réception du samedi soir complètement ivre, la robe en lambeaux, l’œil tuméfié et noirci. Ces accidens sont prévus, comme les blessures à la guerre. On ne se décourage pas, on ne se scandalise point, mais on redouble d’efforts et on tâche de rendre le settlement encore plus attrayant.

Le programme de ces attractions, le « menu » des plaisirs du settlement est devenu d’une variété stupéfiante, depuis quinze ans que des hommes intelligens et dévoués s’ingénient à en multiplier les séductions. Tout y entre, ou peu s’en faut, depuis une discussion philosophique jusqu’à la boxe et au pugilat. Aux discussions préside un gentleman qui les ouvre, les dirige, les résume et les clôt, en faisant sentir aussi peu que possible son