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immense lorsqu’il parla pour la première fois en public et se découvrit orateur. Il s’aperçut qu’il pouvait à la fois préciser et élargir sa pensée en l’exprimant. Ces dons précieux, il les versa sur le peuple comme Marie-Madeleine répandit ses parfums sur les pieds du Sauveur. La fin peut être dite en deux mots. Sa santé ne suffit pas aux efforts qu’il lui imposa et il en mourut. Il avait un peu plus de trente ans. Après sa mort on réunit en un volume son esquisse de la Révolution industrielle de 1760 à 1840, quelques articles, quelques conférences et les pensées détachées dont il vient d’être question. Le maître de Balliol, l’éminent traducteur de Platon, le professeur Jowett écrivit pour ce livre une introduction : à défaut d’autre utilité, elle peut servir à mesurer combien la génération de Jowett était incapable de comprendre la génération de Toynbee.

Lorsque le révérend Barnett eut réussi à créer, à l’ombre, mais à part de Saint-Jude, l’institution qui devait servir de centre et de quartier général à sa propagande morale, à l’œuvre de régénération-et de réconciliation sociale qu’il avait en vue, il plaça l’établissement nouveau sous l’invocation de Toynbee, comme, chez nous, on l’eût mis sous le patronage d’un saint. N’est-ce pas un saint, en effet, ce Toynbee qui, à dix-huit ans, avait éliminé de son cœur toute pensée de gain ou d’ambition personnelle, qui s’était promis de donner sa vie au bien et à la vérité et l’avait, en effet, donnée ?


II

En décrivant ainsi un homme qui n’a même pas vu commencer l’œuvre des Settlements, il semble que je m’attarde aux abords de mon sujet. Mais il ne faut pas oublier que l’âme de Toynbee, ou quelque chose de cette âme, habitait dans ces ouvriers de la première heure. À mesure que le mouvement s’élargit, il attira à lui des hommes de caractère et d’esprit différens. À côté des churchmen militans on y trouva des libres penseurs ; mais ces churchmen n’étaient pas des fanatiques et ces libres penseurs n’étaient pas des voltairiens. J’ai indiqué Toynbee comme le représentant de toute une génération, et je suis tenté de nommer Robert Elsmere comme le type d’un autre groupe de ces réformateurs. On s’étonnera de me voir placer un héros de fiction sur le même plan que Toynbee, qui a réellement vécu,