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on ira plus loin et que l’on saura comparer les sciences morales aux sciences physiologiques, et même physiques, et le tout à la théologie[1] ? »

Le P. Gratry a possédé lui-même le secret, j’allais dire le génie de ces hautes comparaisons. Nul esprit ne fut moins particulier ou moins partiel que le sien. Il avait le goût de l’universel, la passion de l’ensemble, et c’est au centre des choses qu’il plaça toujours la vérité, comme la vertu. « Je travaillais, dit-il en racontant sa jeunesse, la théologie et la philosophie réunies, la scolastique et la mystique prises ensemble, et le tout comparé à toutes les sciences. » Aborde-t-il avant toutes les autres, pour la résoudre par le procédé dialectique, la question de l’existence de Dieu, c’est que toutes les autres y sont comprises : « En traitant cette question générale, nous sommes en théodicée, par conséquent en métaphysique ; nous sommes en logique, puisqu’il s’agit de l’un des deux procédés de la raison, et même du principal. Nous sommes évidemment en morale, puisque la condition sans laquelle nul ne se démontre l’existence de Dieu est une condition morale, un acte libre de notre âme ; nous sommes dès lors en psychologie, puisqu’il s’agit et de l’acte principal de l’intelligence et de l’acte principal de la volonté. Nous sommes au point où toutes les branches de la philosophie se touchent, au centre, à la racine de la philosophie[2]. »

Après Dieu, s’il veut connaître l’âme, le P. Gratry ne l’isolera pas ; il ne l’étudiera pas seule, parce qu’elle n’est pas seule en effet. Il se souviendra de la distinction de saint Augustin : « L’âme dans son corps, l’âme en elle-même, l’âme en Dieu. » Il n’oubliera pas le mot de saint Thomas : « L’âme n’est pas l’homme, » et il parlera ainsi : « Pour connaître l’âme et le corps, il faut savoir d’abord que l’âme est l’image de Dieu et que le corps est l’image de l’âme. L’âme et le corps se ressemblent : le corps est signe et instrument de l’âme. Il faut poursuivre cette ressemblance pour connaître l’âme par le corps, le corps par l’âme. Il faut que la science de l’âme serve enfin à la science du corps, et que les deux sciences se soutiennent, et que la science de Dieu les soutienne l’une et l’autre[3]. » Il écrivait un jour : « Quand je dis feuille d’arbre, je ne dis pas feuille tombée, mais feuille

  1. Les Sources.
  2. Connaissance de Dieu.
  3. Connaissance de l’Âme.