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LE P. GRATRY.

science véritable ; elle seule est la science, et le xviie siècle n’est au-dessus de tous les autres que pour l’avoir possédée, parce que ses plus grands hommes, de Kepler à Newton, furent à la fois « mathématiciens, physiciens, astronomes, naturalistes, historiens, théologiens, philosophes, écrivains[1]. » Il faut être savant ainsi ; qui l’est autrement ne l’est point. « Les mathématiques isolées brûlent et dessèchent l’esprit ; la philosophie le boursoufle ; la physique l’obstrue ; la littérature l’exténue, le met tout en surface, et la théologie parfois le stupéfie[2]. » Aucun bien ne s’acquiert et nul mal ne s’évite que par le croisement des influences, par l’alternance ou la superposition des cultures. Craignez-vous que cette ambition, que cette acquisition totale épuise vos forces ou les dépasse, apprenez au contraire comment elle les exerce et les multiplie : «… Il se passe dans l’esprit ce que la science a constaté pour l’eau dans sa capacité d’absorption. Saturez l’eau d’une certaine substance, cela ne vous empêche en rien de la saturer aussitôt d’une autre substance, comme si la première n’y était pas, puis d’une troisième, d’une quatrième et plus. Au contraire, et c’est là le fort du prodige, la capacité du liquide pour la première substance augmente encore quand vous l’avez en outre remplie par la seconde, et ainsi de suite, jusqu’à un certain point[3]. » Faut-il croire que, par une conformité mystérieuse, le miracle se reproduise en nous ? Le P. Gratry, du moins, quand il nous propose ou nous impose l’étude de la science comparée, demeure fidèle à sa méthode, puisqu’il emprunte à l’ordre physique, pour l’appliquer à l’ordre de l’esprit, non seulement un exemple, mais une loi.

Personne mieux que le P. Gratry n’a compris l’action et la réaction réciproques des sciences. Il aimait à les voir solidaires, ou plutôt charitables entre elles, empressées à porter le fardeau les unes des autres. Il admirait dans le passé les effets de leur mutuel secours. « Quelle n’a pas été la fécondité de l’algèbre appliquée à la géométrie, puis la fécondité de cette science double appliquée à son tour à la physique et à l’astronomie[4] ! » Il espérait davantage encore : l’avenir lui promettait un concert toujours plus vaste et plus harmonieux : « Que sera-ce quand

  1. Les Sources.
  2. Ibid.
  3. Ibid.
  4. Ibid.