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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

matique matiqiie, suivant la Délégation à Bordeaux, comme il l’avait suivie à Tours, ambassadeurs, chargés d’affaires, attachés de légation, tous moins disposés à des interventions de sympathie efficace, que préposés à une surveillance méfiante, prête à profiter des fautes et à exploiter la situation. Seul toujours, pour correspondre avec l’Europe, le représentant de Jules Favre, le comte de Chaudordy, dont l’éloquente protestation contre les procédés barbares de la guerre allemande venait de retomber sans écho. La France, sous les yeux impassibles de la diplomatie européenne, demeurait isolée, au ban de la pitié du monde civilisé. Elle-même, avec un entêtement farouche, s’obstinait à rester à l’écart. Une conférence était sur le point de se réunir à Londres, la Russie ayant profité de notre abaissement pour dénoncer le traité de 1836, qui limitait à dix bateaux sa flotte sur la Mer-Noire. La France, première signataire du traité, eût dû être la première représentée. Gambetta souhaitait que Jules Favre se rendît à Londres, pour parler au nom de la République ; il eût pu en même temps constater de visu les efforts, les ressources de la province. Chaudordy insistait vivement, espérant que, la conférence transformée en congrès, on pourrait enfin préparer la paix, dans des conditions meilleures. Mais, devant l’intransigeance de la presse avancée, prônant le dédain silencieux, Jules Favre et le gouvernement, par peur de l’opinion, se refusaient à demander à Bismarck l’humiliant sauf-conduit.

Ainsi, l’exode de Tours à Bordeaux n’avait rien changé à la lutte solitaire et désespérée. Par une force irrésistible, qui, en dépit de la faiblesse du gouvernement de Paris, montait de l’âme du peuple des faubourgs, et qui en province, en dépit des campagnes aveulies, s’élançait de l’âme de Gambetta, le cours des événemens aboutissait à ce mot que le conseil de l’Hôtel de Ville, malgré Picard, résigné d’avance à la capitulation, malgré Jules Favre, désormais sans illusions, avait fait placarder aux murs, en réponse aux ouvertures de De Moltke : — Combattre !

Poncet, vite familiarisé avec ses habitudes nouvelles, le chemin qui de son hôtel le menait au bureau de la Commission, repris à la fièvre du travail, retrouvait avec plaisir les visages connus ; d’autres lui devenaient vite familiers. Sous le hâle de la peau brune et l’éclat des yeux noirs, dans la vivacité gas-