Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/70

Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
REVUE DES DEUX MONDES.

mot avec son voisin le ministre de la Guerre, le général Le Flô en civil. Jules Favre, avec un beau mépris, dort la tête renversée, la bouche ouverte. Les tirailleurs de Flourens, postés en demi-cercle, les surveillent, prêts à faire feu à la moindre tentative de délivrance.

… Encore un trou ; une vision qui ne se relie à rien. Il a dû s’écouler des heures. Martial, la tête dans ses mains, est affalé sur une marche d’escalier, près de la cour des cuisines… Mais que fait donc la garde nationale ? Va-t-on laisser tuer comme cela les représentans de la France ? Vingt bataillons devraient être arrivés depuis longtemps. Pourquoi Paris ne se lève-t-il pas ?… Des voix. C’est Delescluze et Dorian qui passent. Ils causent avec animation. Les choses ne vont donc pas toutes seules ? Méjean, — d’où sort-il ? — s’asseoit près de lui, bien las. Martial n’est pas surpris, c’est le songe qui continue. Méjean parle : — Ils sont moins fiers ! Les bons bataillons arrivent et cernent l’Hôtel de Ville ! Ah ! Ah ! Ah ! Pas moyen de quitter la souricière. Aussi on négocie, on transige. Il faut voir leurs figures : d’abord la jactance, puis le doute, maintenant l’inquiétude. Dorian, croyant bien faire, s’est entremis. On ne les poursuivra pas… Mais entendez-vous ? Il y a du nouveau en bas. On débouche des souterrains ! … » Tous deux se précipitent. Des commandemens en breton ; les mobiles du Finistère, baïonnette croisée, foncent, déblayant le rez-de-chaussée.

… Une heure encore. Il paraît qu’on a trouvé Étienne Arago errant dans un escalier, à l’entrée des sous-sols. Méjean s’est fait reconnaître d’un capitaine. Il donne des indications sur la disposition des couloirs : on aurait vite fait d’enlever toute cette canaille ! Ce n’est pas l’envie qui en manque aux mobiles. Mais non, on compromettrait la vie des otages ! Le général Le Flô lui-même est venu donner des ordres. À aucun prix, que le sang ne coule. Du moins on a ramassé deux cent cinquante braillards, ils sont sous clef dans les caves. Enfin, enfin, les portes s’ouvrent devant deux compagnies du 106e et du 17e, envoyées par Trochu, Jules Ferry en tête. Ils parlementaient depuis des heures. Les mobiles leur frayent le chemin, prennent d’assaut le grand escalier, et parvenus à la salle du Conseil, s’écartent pour laisser passer Ferry et les gardes. La porte cède. On aperçoit les émeutiers en désarroi, braquant le fusil sur leurs captifs. On entend la dure voix de Ferry, et, quelques instans après, Blanqui sort au bras