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accumulés contre la côte orientale du Groenland. Le plus remarquable de ces exemples est celui des épaves de la Jeannette. On connaît l’histoire de cette expédition dont M. Gordon-Bennett avait fait les frais et qui était conduite par le capitaine de Long. Elle avait, en 1879, abordé la mer glaciale par le détroit de Behring. Le navire la Jeannette avait piqué droit dans la banquise. Emprisonné dans celle-ci, il avait été amené, après deux ans de dérive, à la hauteur des îles de la Sibérie, et c’est là qu’il fut écrasé par les blocs de glace et coulé à pic. Ce tragique événement s’était produit le 13 juin 1881. Trois ans plus tard, en 1884, on trouvait à Julianehaab, à la pointe sud-est du Groenland, échouées sur un glaçon, des épaves authentiques de ce bateau. La plupart de ces débris sont pieusement conservés au musée de Copenhague.

C’est cette pérégrination qu’un destin fatal avait fait accomplir à la Jeannette, que la volonté de Nansen a fait accomplir à son bateau, le Fram. Suivant son expression pittoresque, il prit « un billet de glaçon, dans le grand convoi des glaces. » Dans ce trajet à travers la banquise, Nansen et ses collaborateurs ont fait les études les plus intéressantes à divers points de vue, et spécialement pour la biologie de ces régions.


L’une de ces observations, de haute importance pour le développement des êtres vivans, est relative à la température climatologique. Le froid, à mesure que l’on s’éloigne du centre sibérien est beaucoup moins rigoureux que l’on n’aurait pu s’y attendre. Aussi la glace atteint-elle à peine quelques mètres d’épaisseur, et devient-elle incapable de résister au mouvement des marées, sans se disloquer. Au-dessous, il y a une couche d’eau de plus de 200 mètres d’épaisseur dont la température est seulement d’un demi-degré au-dessous de zéro. Plus bas, cette température se relève : et dans les grands fonds, elle est d’environ 1° au-dessus de zéro. C’est ce que l’on a exprimé, sous une forme quelque peu paradoxale, en disant que la cuvette polaire était remplie d’eau tiède, et que c’est sur une mer relativement chaude que flottait la banquise arctique.

Il y a là une condition très favorable à la vie marine. L’eau de la mer Arctique n’est pas, en définitive, plus froide que l’eau des profondeurs dans les autres Océans. Au contraire, elle est un peu plus chaude. On conçoit dès lors que la vie, au-dessous de la