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extraordinairement intéressantes. Retenons, entre autres, une magnifique épée du cabinet impérial de Vienne. Sa fusée, d’ivoire, est travaillée en torsade, son pommeau, de ce modèle rarissime, dit à oreilles, est d’acier doré en plein, comme sa garde en simple croisée, mais d’une disposition singulièrement recherchée et bizarre. Le massif de cette garde est fourni par le corps et les quatre pieds d’une salamandre dont le cou, démesurément allongé, et la queue, contournée, forment les quillons. La lame, assez courte, très large, dont les deux tranchans s’enfuient régulièrement pour se rejoindre vers la pointe aiguë, est gravée et dorée. Elle montre, entre autres inscriptions latines, une mention qui la rapporte nettement à l’évêque Kalman (Colomanus), fils naturel du roi de Hongrie Charles-Robert d’Anjou, et qui vécut de 1317 à 1375. Je ne sais si la lame est de cette époque ; mais sa gravure est certainement moins ancienne que le XIVe siècle, et sa monture date, à coup sûr, du XVIe siècle. La disposition en oreilles du pommeau, que nous retrouvons dans la levantine de Boabdil, n’est pas, en effet, un caractère certain d’ancienneté. L’admirable épée de la collection du regretté Ressmann date du règne de Charles IX, environ. Elle possède le plus beau pommeau à oreilles que l’on connaisse, et ce motif architectural se retrouve dans le massif de la croisée. Il existe, à Londres, un portrait du petit roi Edouard VI, où l’on peut voir une dague levantine avec une pareille capule. La monture de l’épée hongroise, faite de trois pièces disparates, appartient au XVIe siècle. Quant à la lame, elle rappelle celle de certains braquemarts du XVe siècle, encore qu’en plein XVIe siècle, en Suisse, on en portât couramment de semblables. Le fourreau, en bois habillé de maroquin, parait avec ses garnitures, autant que j’ai pu le voir, être contemporain de la poignée.

Que faut-il donc penser de cette épée épiscopale ? Je n’ose le dire, car la notion historique me fait ici défaut. A-t-elle été, comme le sabre d’Etienne Bathory, fabriquée pour un besoin de la cause ? J’inclinerais à le croire, mais les morceaux en sont bons. Il s’agit là, sans doute, d’une épée d’investiture ou de cérémonie, d’un de ces glaives, insignes du pouvoir temporel, que les princes évêques gardaient devant eux sur l’autel, tandis qu’ils officiaient, pour indiquer qu’ils jugeaient au temporel comme au spirituel, ense et stola. Ainsi pouvait dire sa messe l’évêque de Würtzbourg, parce qu’il était duc de Franconie. Et, puisque je parle de glaives