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s’épanouit en deux disques élégamment ciselés. La lame forte, à plusieurs plans de retaille, gravée et dorée, se recommande par sa belle conservation. Des inscriptions arabes, incrustées en or, courent sur une partie de sa surface. L’une dit : « Il a été fait par Reduan ; » c’est là le seul renseignement que cet armurier, sans doute musulman, ait laissé pour qui sera tenté d’écrire son histoire ; c’est aussi le seul que les armes de Boabdil nous fournissent, car, de l’épée, les inscriptions en caractères semicoufiques se rapportent toutes à la glorification d’Allah, comme celles de la seconde épée dont le pommeau porte la devise des rois de Grenade « Allah seul est vainqueur. » La gaine de la dague est d’un cuir brun gaufré avec une large chape circulaire et une bouterolle, en argent doré, rehaussé d’un précieux travail en filigrane sertissant des appliques d’émaux. Par une disposition, encore en usage dans l’Arabie, le bâtardeau rentre dans le fourreau derrière la dague, près de la bielle d’attache par où passe la ceinture. Celle-ci se voit sur la dalmatique, qu’elle ceint de son cuir gaufré brun, avec les boucles, les fermoirs et les trépas d’acier gravé et doré. Le cuir est rehaussé de passemens d’argent en rosettes et en listels. Le fourreau n’est pas seulement remarquable par son travail exquis, il porte aussi un gland de soie rouge et de cannetille d’argent intéressant à plus d’un titre, car il donne un bel exemple de la passementerie espagnole dont les modèles et les procédés ne changèrent pas pendant un siècle. Je n’en veux d’autre preuve que les glands faits pour Philippe II par le passementier Francisco Alvarez, dans la seconde moitié du XVIe siècle, et qui garnissent encore aujourd’hui les ornemens de chapelle, à l’Escurial.

La deuxième épée est une véritable épée de guerre, car la première est plutôt une épée de ceinture, un insigne, qu’une épée d’armes. Celle-ci représente autant un estramaçon qu’un estoc, car elle possède un des assez épais, d’un côté, et qui va jusqu’à la première moitié de sa longueur. La pointe aiguë, retaillée, ne présente pas l’effilement caractéristique des vrais estocs : du talon à cette pointe, la largeur de l’allumelle reste la même. Pour prendre un terme moyen, appelons cette seconde arme : une épée d’arçon. Sans doute aussi le roi de Grenade la portait-il attachée au pommeau de sa selle. Des lignes longitudinales gravées au poinçon, ainsi que quelques arabesques, constituent tout le décor de cette lame dont le renforcement du talon — le ricasso, comme on dit — présente deux courts pans creux adoucis.