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Montfort ; elle y trouva un appui dans Jeanne de Flandre, veuve comme elle, et qui défendait avec une constance héroïque les droits de son fils Jean de Montfort.

Tel est le sujet de Jeanne de Belleville. Victor de Laprade, qui fut un des premiers à saluer ce livre, va nous dire quel parti le poète en a tiré.

« Il a divisé ces événemens en six grandes périodes, en six parties subdivisées elles-mêmes en chapitres, tableaux, chants ou rapsodies, à la façon de nos vieilles chansons de geste. Rappelons ici que dans la Légende des Siècles, Victor Hugo avait déjà remis en honneur la manière de nos épopées carlovingiennes et leur avait fait plusieurs emprunts qui ne sont pas les moins belles pages de son livre, sans dépasser toutefois l’original. M. Emile Péhant, dans un sujet entièrement neuf, n’avait d’autre emprunt à faire que celui de la méthode épique, et il a appliqué cette méthode avec simplicité et avec vigueur. Il a fait très sagement le contraire de ce qu’avait voulu M. Quinet dans son Napoléon, le contraire aussi de ce qu’ont essayé tous les auteurs de Philippéide et de Franciade : il a banni le lyrisme exubérant et s’est attaché au récit. Il a rejeté bien loin le merveilleux, les allégories, les épisodes sans vraisemblance ; il a composé son poème comme une chronique, en s’écartant le moins possible de l’histoire ; il a demandé la poésie aux faits eux-mêmes, à la peinture des caractères et des émotions, à ces deux sources éternelles de l’épopée : les événemens vrais et le cœur humain. Il n’y a pas d’aventures imaginaires dans son poème, et c’est une supériorité qu’il conserve sur les romanciers historiques. Il reste ainsi plus conforme à la dignité de la poésie et à la loi de l’épopée. Son livre pourrait tenir lieu d’une chronique comme les anciens poèmes ont longtemps tenu lieu d’histoire.

« L’art du poète, et il est très grand, c’est d’avoir développé l’élément dramatique de chaque situation, d’avoir introduit dans son récit la peinture des lieux, des mœurs, et tous les détails ressortant de l’action qui pouvaient animer les portraits de ses personnages de cette façon, il a été à la fois historique et poétique, et c’est la loi de l’épopée, quelle que soit sa forme[1]. »

Sous la plume autorisée du chantre de Pernette, cette critique louangeuse de Jeanne de Belleville ne pouvait que donner du

  1. Cf. le Correspondant du 25 mai 1869.