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où Péhant avait passé son enfance et sa jeunesse, où il vivait depuis trente années. L’histoire de la Bretagne dont le poète avait nourri son âge mûr lui avait fait à son insu une âme d’historien qui n’attendait qu’une occasion pour se produire. Quand Michelet vint à Nantes, après le coup d’État, pour étudier les origines de la guerre de Vendée, il anima cette âme de son souffle, il lui donna des ailes et aussi le culte, la passion du moyen âge que personne n’a compris et chanté comme lui. La Muse fit le reste.

« Ma tâche, écrivait Péhant dans l’avant-propos de Jeanne de Belleville, est de retracer de ma vieille Bretagne, à l’époque la plus splendide de sa glorieuse histoire, un tableau complet, auquel la vie du connétable Olivier de Clisson servira de cadre… Il ne faudra pas à l’auteur de grands efforts d’imagination pour voir se dessiner dans son cerveau et se mouvoir dans son œuvre des héros que lui eussent enviés Tasse et Camoëns, et toute la phalange des poètes qui ont demandé leur inspiration à l’histoire. Quels noms éblouissans ! Parmi les hommes, Du Guesclin, les trois Clisson, Beaumanoir, les deux Montfort, Charles de Blois, Gautier de Mauny, Jean Chandos, Pierre de Craon, Louis d’Espagne ! Et sur l’arrière-plan, Édouard III, le Prince Noir, Philippe de Valois, Jean le Bon, Charles le Mauvais, Charles V le Sage, et Charles VI l’Insensé. Et parmi les femmes, Jeanne de Penthièvre, Jeanne la Flamme, Jeanne de Belleville, Marguerite de Clisson ! Toutes les nuances, toutes les couleurs !

« Les actes valent les personnes ; à chaque pas, des événemens si grandioses, si merveilleux, si émouvans, que nos romanciers les plus hardis n’oseraient les inventer.

« L’histoire que nous racontons aujourd’hui au public lui donnera l’idée des trésors de poésie qu’offrirait à une main plus forte ou plus expérimentée cette riche mine historique jusqu’à présent laissée en oubli… »

Le sujet choisi, quand il en eut fait le tour, il voulut écrire sa chanson de geste d’une seule haleine. Il possédait à la porte de Nantes une petite maison de campagne d’où la vue s’étendait sur l’Erdre et sur les arbres de la Haute-Forêt, où Michelet était venu chercher un refuge en 1852. Il s’y enferma pendant l’été de 1868, et tel était son enthousiasme, telle son ardeur poétique, qu’il lui arrivait d’écrire jusqu’à six cents vers dans une journée. Jeanne de Belleville, qui n’en contient pas moins de huit mille,