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d’admiration et d’enthousiasme pour réveiller en lui le feu sacré d’où était sorti son premier volume de vers.

Péhant avait déposé sur un rayon de la Bibliothèque de Nantes, parmi cent autres volumes de poésies, son livre de Sonnets, revu et corrigé par lui d’une main sévère. Un jour, c’était en 1867, un poète de ses amis qui ne se doutait pas de son œuvre vient à passer devant ce rayon. Il s’arrête, s’amuse à regarder les titres des volumes et les noms d’auteurs, et tout à coup pousse un cri de stupéfaction. Il avait mis la main sur les Sonnets de Péhant. Il prend le livre, l’emporte sans rien dire et se délecte si bien à sa lecture, qu’il le passe à un autre poète de la ville encore plus ignorant que lui des commencemens littéraires de Péhant. Que fait celui-là ? Il prend sa plume et dans une étude sommaire, empreinte d’une pieuse et cordiale sympathie, il apprend aux lecteurs de la Revue de Bretagne et de Vendée qu’un poète était né en 183 ; i dont personne ne soupçonnait l’existence[1]. Le plus surpris ce fut Péhant. De se voir ainsi découvert et présenté à un public où il ne comptait que des amis, dont beaucoup de lettrés, il éprouva une de ces émotions violentes et douces qui renouvellent le sang en une minute. Et voilà que la sève poétique qu’il croyait morte en lui remonte soudain de son cœur à sa tête, et que le vers se met à jaillir sous sa plume comme l’eau d’une source naturelle. Tant il est vrai que, selon l’expression de Musset, il existe chez les trois quarts des hommes


Le poète endormi toujours jeune et vivant.


Jamais renouveau poétique ne fut plus éclatant et ne donna autant de fleurs. Je voudrais pouvoir ajouter et de plus belles. Mais, hélas ! les fleurs d’automne n’ont ni la force, ni la fraîcheur, ni la durée de celles du printemps. On ne laisse pas impunément sa lyre suspendue trente ans à la muraille. Quand, après ce délai, l’idée vous prend de la raccorder, ou bien ce sont les cordes détendues qui vous refusent le service, ou bien ce sont les mains alourdies qui ont perdu le doigté. Il est vrai que la question d’art fut toujours secondaire pour Péhant, et que le genre de poésie qu’il allait adopter n’a pas à cet égard les mêmes exigences que l’ode et le sonnet.

  1. Revue de Bretagne et de Vendée de juillet 1867. Emite Péhant, par Joseph Rousse.