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le point de commencer son stage d’avocat. Mais la profession ne l’attirait que médiocrement, et c’était plutôt par raison que par goût qu’il allait l’embrasser. Ses goûts étaient pour la poésie qu’il cultivait depuis l’âge de quinze ans ; et si ses parens l’avaient laissé faire, il serait resté à Paris pour tenter la fortune au théâtre, car tout le poussait vers la scène : les souvenirs et la vue de l’amphithéâtre romain au pied duquel il avait grandi ; le succès retentissant de la tragédie de Léonidas, de son compatriote Pichat[1] ; et surtout le plaisir qu’il avait goûté aux représentations tumultueuses des pièces romantiques. Ponsard fut donc de ceux qui applaudirent le discours-manifeste de Péhant. Le lendemain il avait fait connaissance avec le professeur, et, comme ils étaient tous deux à peu près du même âge et qu’ils avaient sur la littérature ancienne et moderne presque les mêmes idées, ils se lièrent tout de suite d’une amitié durable. Naturellement Ponsard subit l’influence de Péhant. Il hésitait, en matière de théâtre, entre la tragédie selon Racine et le drame selon Victor Hugo, et rêvait d’une forme d’art qui tînt le milieu entre la trop grande timidité des classiques et le dévergondage échevelé des romantiques. Péhant, qui comprenait d’autant mieux ces hésitations qu’il avait fait partie d’un clan qui les partageait, lui montra dans Alfred de Vigny le seul romantique ayant le sentiment de la mesure, et appela son attention sur la nouveauté de la pièce de Chatterton au double point de vue de l’idée et du style.

« Alors, pourquoi, lui dit un jour Ponsard qui brûlait de s’essayer sur les planches, pourquoi ne ferions-nous pas à nous deux un drame historique d’après la formule nouvelle ? Je crois avoir trouvé dans Tite-Live un sujet très intéressant et très dramatique. »

Et il lui exposa le sujet de Lucrèce.

Mais Péhant, qui avait songé un moment à faire du théâtre, et à qui Mme Dorval, mandait, après avoir lu son livre : « Vous écrirez un rôle pour moi et je ferai de mon mieux pour vous aider à une popularité que vous méritez[2] ; » Péhant y avait définitivement renoncé, et je crois qu’il avait fait sagement. Tout en approuvant donc le choix du sujet de Lucrèce, notre professeur ne put que décliner l’offre de Ponsard. L’aurait-il acceptée, qu’il aurait été fort en peine de remplir son rôle de collaborateur, car, en 1837,

  1. Pichald (Michel), né à Vienne en 1786, mort à Paris le 28 janvier 1828.
  2. Lettre inédite du 22 décembre 1834.