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Moïse ainsi d’un mot lit jaillir une source
Des lianes d’un roc aride au milieu des déserts.

…………….

Savourez bien la vie, ô riches de la terre ;
Couronnez-vous de fleurs aux banquets du plaisir ;
Si le peuple affamé veut bien encor se faire,
Que vos fêtes du moins s’entourent de mystère,
Ou nous écouterons les conseils du désir.

Le bonheur est un arbre où le désir s’élève
Parmi les beaux fruits d’or que convoitent nos yeux,
Et, pareil au serpent qui lit succomber Eve :
— Pourquoi donc, nous dit-il, vous contenter d’un rêve ?
Ne goûterez-vous pas ces fruits délicieux ?

Non, car pour les cueillir il faut commettre un crime,
Et, si nous nous ployons aux volontés du ciel,
Le Christ un jour viendra sauver ceux qu’on opprime,
Et sa main, nous versant le baume qui ranime,
Brisera pour jamais notre coupe de fiel.

Vous tremblerez alors, riches au cœur barbare,
Et vous regretterez d’avoir été de fer.
Je vous plains, je vous plains ! vous dont la table avare
A toujours refusé ses miettes à Lazare :
Vos grincemens de dents réjouiront l’enfer.

Mais ce n’est pas pour moi que ma voix vous implore,
Et vous ne rirez pas de mon abjection ;
Malgré les maux nombreux dont la dent me dévore,
Riches, regardez-moi, j’ai le front haut encore,
Car je n’accepte pas toute protection.

Fût-ce pour éviter les dalles de la morgue,
Jamais pour le Veau d’or ne fumera mon vœu :
De quoi peut-on louer un banquier plein de morgue ?
La lyre du poète est sainte comme l’orgue
Qui garde tous ses chants pour les temples de Dieu.


III

Cependant il eut beaucoup de peine à se faire aux exigences de sa situation nouvelle. Non que l’enseignement lui déplût, mais, en dépit du Rhône, qui lui rappelait la Loire à son embouchure, il se trouvait dépaysé dans la vieille cité de Vienne ; fier et indépendant comme il l’était de son naturel, il s’en voulait