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avait foi dans son étoile. Pourquoi, d’ailleurs, en aurait-il douté, quand Évariste Boulay-Paty, Élisa Mercœur et Auguste Brizeux, ses compatriotes, étaient devenus célèbres du jour au lendemain avec un mince volume de vers ? S’il avait su que l’auteur de Marie était parti pour Rome avec des lettres de recommandation de Lamennais, et que Chateaubriand protégeait ouvertement tous les Bretons qui tenaient une plume, il aurait espéré davantage encore. Il est vrai que, lorsqu’il arriva à Paris, le premier ne songeait qu’à tirer vengeance de l’encyclique Mirari vos, qui l’avait foudroyé, et que le second, en se constituant le défenseur de la Duchesse de Berry, avait perdu tout crédit dans le monde gouvernemental. N’importe ! A défaut de l’appui de Chateaubriand et de Lamennais, il restait à Péhant l’amitié de son camarade Pitre-Chevalier, qui l’avait devancé à Paris. Pitre-Chevalier, qui avait commencé par faire du roman, semble avoir poussé Péhant dans cette voie, car une lettre d’Alfred de Vigny écrite à ce dernier le 20 décembre 1833 nous apprend que lui aussi lit un roman pour ses débuts.


Voici la lettre :

Il me paraît impossible, monsieur, que votre roman des Deux Jeunes Filles n’ait pas dans le monde le succès qu’il mérite ; vous êtes poète, je n’en veux pour preuve que votre élégie : Une Plainte. Ce qu’elle a d’émotion triste et profonde n’y est pas affaibli par la forme que vous avez choisie sévère et que vous avez conservée telle jusqu’au bout. Tout ce qu’il me sera possible de faire pour qu’on vous rende bientôt justice je le ferai, et j’espère que l’heure ne tardera pas longtemps à venir pour vous faire prendre votre rang : votre talent très réel m’en donne l’assurance.

J’ai malheureusement à dévorer moi-même une part du calice que vous croyez avoir épuisé. J’irai vous voir pour vous donner un peu de courage, quoique le mien me suffise à peine à présent.

Croyez à tout le dévouement que je vous ai promis et que je ne cesserai de vous prouver.

ALFRED DE VIGNY[1].


Ce qu’était ce roman des Deux Jeunes Filles, je suis bien empêché de le dire, mes recherches pour en retrouver un exemplaire étant demeurées infructueuses, et Péhant, comme s’il avait renié son premier ouvrage, ayant omis de le comprendre parmi ceux de sa jeunesse et de son âge mûr. Mais pour qu’Alfred de Vigny

  1. Lettre inédite.