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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

fois venaient de paraître en France. L’acteur Berton devait, le lendemain, lire à la Porte Saint-Martin l’Expiation ; avec la recette, on fondrait un canon. Et, campé théâtralement, le rapin déclama :

Waterloo ! Waterloo ! Waterloo, sombre plaine !
Comme une onde qui bout…

— M’sieu Poncet ! M’sieu Poncet !

Le concierge, Louchard, faisait irruption, très ému :

— On bat le rappel dans les quartiers voisins ! Les rues sont pleines de gens qui courent. Il y a plus de cent députations à l’Hôtel de Ville. Beaucoup de bataillons lèvent la crosse en l’air.

Il paraissait déguisé sous l’uniforme ; on s’étonnait de voir un képi à deux galons surmonter sa face blême et sournoise, un sabre lui battre aux jambes. Une jubilation relevait d’un vilain sourire sa bouche tombante, faisait cligner ses yeux.

— Ça va être le tour des purs. Dans quarante-huit heures nous aurons la Commune. Tous les bons citoyens vont marcher.

Il disparut, bruyant comme un frelon noir qui se cogne ; il allait à toutes les portes et jusqu’aux maisons voisines annoncer la grande nouvelle, ce « chambardement » où il comptait bien pêcher en eau trouble. On ne voyait que lui à la mairie, où, dans les comités d’armement, d’équipement, de vigilance surtout, il avait des amis. Une bonne nomination d’adjoint ne lui semblait pas au-dessous de son mérite. Il s’était distingué lors de la parade des engagemens. Un décret ayant ordonné dans chaque bataillon la formation d’une compagnie de marche, 6 500 volontaires seulement s’étaient offerts, malgré la réclame à grand orchestre. Au Panthéon, sur une estrade drapée de rouge avec l’inscription : La patrie en danger, surmontée d’un drapeau noir portant : Strasbourg, Toul, Châteaudun, se dressaient des tables couvertes de registres. Au bas, des tambours exécutaient toutes les cinq minutes un roulement. Les bataillons de l’arrondissement défilaient, mais le plus souvent, pour éviter l’enrôlement, ils se bornaient à crier au passage : « Tous ! tous ! » sans que personne sortît du rang.

— Une révolution ? s’écria Thérould. Il faut aller voir ça !

— Nous n’attendons pas le rappel ? demanda Martial.

— Plus souvent ! moi, d’ailleurs, je lève la crosse.

Le bataillon dont ils faisaient partie n’était cependant pas hostile, quoique du deuxième ban. À mesure qu’il s’était créé de