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d’une seule chose, de ne pas s’être créé lui-même, et que toutes ses facultés lui étaient des dons de son créateur, il a considéré que la croyance générale de l’homme à une puissance tutélaire et souveraine était une révélation de la divinité à chaque homme. Dès lors, il était contraire à la raison faite par Dieu même, qu’il eût donné à tous le désir de le connaître et réservé à un petit nombre la faculté de le découvrir. Il était contraire à la justice que l’homme avide de foi en Dieu fût réduit à avoir foi à ces quelques hommes en désaccord les uns avec les autres, et parfois en contradiction avec eux-mêmes. Il était contraire à la sollicitude de l’Etre qui avait donné à l’homme la vie de lui refuser l’intelligence de la vie. La raison, la justice, la miséricorde, exigeaient que chacun tînt de Dieu même la vérité sur Dieu. Seule, cette infaillible autorité pouvait fournir les certitudes absolues, immédiates, permanentes, dont chaque jour et chaque acte ont besoin. Et par cela même que l’homme sentait le besoin de cette révélation, il a été sûr de la posséder. Un acte de foi en la bonté divine a été l’origine de la foi religieuse. Cette croyance en un enseignement donné par Dieu lui-même à sa créature a été la certitude la plus générale des sociétés. Et depuis que le monde est monde, il n’a pas opté entre des philosophies, il a opté entre des religions.

Mais au moment où les familles humaines s’essayèrent à créer un culte, il fut primitif et grossier comme elles, et d’indignes objets surprirent l’hommage de ces simples. Ceux qui cherchèrent Dieu ne connaissaient pas même la terre. Ils affrontaient la nature encore nouvelle sans avoir appris à en dompter les forces, sans avoir eu le temps d’apprendre ses lois. Or, l’ignorance est la grande école d’idolâtrie, parce que pour l’ignorance tout est prodige. La première tentation de l’ignorance devait être de prendre pour Dieu les forces de la nature. L’homme, sentant son impuissance à les dominer, trembla devant elles, et son désir qu’elles lui fussent propices se changea bientôt en prière. Il ne sait pas distinguer, derrière les phénomènes terribles ou bienfaisans qu’il contemple, l’être invisible qui les gouverne, et, au lieu d’adorer Dieu dans ses œuvres, il rend à ces œuvres le culte dû à Dieu. La crainte est le fondement de ce culte.

Quand il crut ainsi s’être protégé contre la nature, l’homme voulut s’armer contre les autres hommes. Après la religion de la peur, vint la religion de l’égoïsme. Menacé par les mêmes passions qui, en lui, s’élevaient contre le repos et les droits de ses