Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/544

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

continue le rêve de la métempsycose et tire de cette erreur des conséquences logiques et désespérées. Elle contemple avec épouvante les vies successives où les êtres passent et repassent, comme les feuilles sèches que le vent d’hiver chasse et ramène dans un mouvement stérile, et les chances innombrables d’imperfections qui, durant le cours de chaque existence, vouent l’homme à une existence plus inférieure et plus dégénérée. Cet avenir est le mal suprême, le bien suprême est d’échapper au risque terrible, et, par suite, de ne plus être[1]. L’anéantissement seul est la sûreté, il est la récompense parfaite des parfaits. Et ce n’est pas payer trop cher des plus héroïques vertus la délivrance d’entrer, par le néant, dans le repos. Cette doctrine n’était qu’une philosophie de désespoir, et, en présentant à l’homme la destruction comme unique bonheur, elle offensait l’instinct le plus profond de la nature, le désir de durer.

La race jaune apporte, à son tour, sa découverte. La raison de Confucius dissipe les rêves malsains de la métempsycose et restaure la croyance des sages Egyptiens. Comme eux, il enseigne que la vie future n’est pas une suite indéfinie d’épreuves nouvelles, mais la stabilité dans la récompense ou le châtiment ; la piété qu’il rétablit en l’honneur des morts, adresse sa vénération à des êtres délivrés des imperfections dans une vie incorruptible. Il accepte des Brahmanes l’idée que l’épreuve terrestre est la rançon d’une faute, des Bouddhistes l’idée que le temps ne saurait à lui seul effacer le mal, mais se refuse à admettre avec eux que le repentir même ait cette puissance. Il voit que le regret n’empêche pas la faute, une fois commise, d’être à jamais ; que les larmes même, souillées par la fange du corps et de l’âme, ne sauraient être offertes en compensation à Dieu ; que si, dans les redoutables balances de la justice divine, le mal peut trouver un contrepoids, ce privilège appartient à une perfection pure de tout mal, donc étrangère à l’homme ; que, par suite, si les remords ont cette puissance absolutoire, ce n’est pas par leur propre vertu, mais par le mérite d’un propitiateur surhumain. Et, comme le philosophe

  1. Çakya-Mouni (600 ans avant J.-C. ) prêche ces « quatre vérités sublimes » : L’immense illusion qu’est en réalité notre existence personnelle : la douleur produite nécessairement par tout désir qui agite la vie humaine ; le nirvana, anéantissement complet de la vie qui en supprime l’illusion et la douleur : enfin le renon. cernent absolu à tout ce qui est de la vie présente ; ce renoncement, dès la vie mortelle, nous achemine insensiblement au nirvana. E. Burnouf. — Introduction à l’histoire du Bouddhisme, p. 252, 375, 808, etc.