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l’appareil Morse, dont la mince bande bleue se déroulait, au tic tac du martèlement. Il faisait noir, il faisait froid, en dépit des bougies qui tremblotaient, des braises qui rougeoyaient dans la cheminée. Dehors, un piétinement ininterrompu de troupeaux emplissait l’ombre glacée. À travers fenêtre et porte, Louis l’entendait retentir en lui. Et cette rumeur monotone, parfois soulevée de jurons et de cris, berçait son désespoir taciturne. La fatigue et les émotions de la nuit dernière ajoutaient à cette surexcitation.

Ah ! cette nuit du château de la Monjoie, où un aide de camp de Chanzy avait apporté les nouvelles de Loigny, où, de minute en minute, les aides de camp de d’Aurelle entraient silencieux dans le grand salon encore souillé du récent passage des Allemands, — glaces en miettes, tentures lacérées, sièges crevés, — déposaient leurs dépêches, tendaient un instant leurs bottes couvertes de neige à la flamme du foyer, causant bas… Louis, qu’avait longtemps assombri l’inaction de d’Aurelle, l’indécision du général on chef dont, par la transmission des télégrammes chiffrés, il était le témoin obscur, avait alors achevé de perdre confiance. Tandis que l’armée du duc de Mecklembourg écrasait le 16e corps et partie du 17e, le 15e maladroitement divisé, ne prêtait à Chanzy qu’un secours dérisoire. La 1re division, avec des Pallières, restait immobile à Chilleurs ; les divisions Peytavin et Martineau, qui selon l’ordre de mouvement général entamaient leur marche sur Pithiviers, au lieu de se porter droit au canon, s’engageaient mollement à Pourpry, pour rétrograder bientôt sur Artenay, Apprenant que l’aile gauche était rompue, et n’ayant pas encore reçu la dépêche qui le même soir lui restituait la direction de l’aile droite, 18e et 20e corps, d’Aurelle, réduit par conséquent au seul 15e, prenait le parti de renoncer sur-le-champ à une offensive qu’il n’avait jamais approuvée. Sans essayer de résister au centre, de coordonner son armée éparse, il décidait la retraite sur Orléans. Bien qu’il ne fût pas comme Guyonet stratège en chambre, Louis s’était rendu compte qu’une retraite sans combat, — le 15e corps, malgré l’engagement de Pourpry, demeurait intact, — allait avoir sur de jeunes troupes l’effet le plus désastreux. Et de fait, sitôt les ordres transmis, de dures heures courbé sur l’appareil Morse, — il ne l’avait que trop vu. Devant l’avenue du château, une cohue, pareille à celle qui en ce moment roulait grondante sous la fenêtre, avait jusqu’à l’aube submergé