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indispensable que le gouvernement chinois y rentrât, l’évacuation immédiate s’imposait. Le gouvernement russe a donc transmis au commandant en chef de ses forces militaires et à son représentant diplomatique des instructions pour qu’ils se rendissent à Tientsin aussitôt qu’ils croiraient pouvoir le faire sans danger. Évidemment, on ne pouvait pas envoyer de Saint-Pétersbourg l’ordre d’évacuer Pékin du matin au soir, ou du jour au lendemain ; le choix de l’heure devait être laissé à ceux qui étaient sur place ; mais ces tempéramens, toujours nécessaires dans l’exécution d’une mesure délicate, n’en modifient pas le caractère essentiel, et nous répétons que rien n’est plus net que la politique russe. On peut la définir d’un mot : pour négocier utilement, il faut d’abord évacuer Pékin. D’autres puissances devaient estimer au contraire que, pour négocier utilement, il fallait y rester. Et, certes, elles ne manquent pas non plus d’argumens à faire valoir. L’histoire déjà assez longue de ses rapports avec les puissances occidentales montre que la Chine ne croit qu’à la force toujours présente, toujours pressante, et qu’elle reprend une incroyable audace dès que cette force paraît, non pas même s’affaiblir, mais s’éloigner. Si nous quittons Pékin avant d’avoir imposé les conditions de la paix, n’est-il pas à craindre que les négociations ne s’en ressentent ? D’abord le gouvernement impérial ne manquera pas de dire que nous reculons, et qu’après être entrés à Pékin, nous avons senti et reconnu l’impossibilité de nous y maintenir. Peut-être ne le croira-t-il pas lui-même, mais il le fera croire à son peuple, et, après les abominables événemens de ces derniers mois, le peuple chinois n’aura pas le sentiment qu’il a été battu, qu’il a dû céder à une force supérieure, que cette force pourra toujours s’exercer contre lui avec le même succès. Peut-être n’avons-nous pas assez fait à Pékin pour laisser à la Chine une impression de terreur suffisante. Ces considérations ont leur valeur. De là sont venus l’hésitation et le trouble de l’opinion lorsque la note russe a été connue.

Néanmoins, plus on y songe et plus on est conduit à croire que ces craintes sont exagérées. Si nous voulons, dans les négociations qui vont s’ouvrir, aboutir à un résultat rapide, où est l’inconvénient de témoigner au gouvernement chinois quelques-uns de ces ménagemens qui peuvent l’aider, suivant une expression de son vocabulaire, à sauver sa face ? On peut même se demander si nous avons intérêt à l’humilier auprès de ses sujets au point de lui faire perdre toute autorité et tout prestige, car nous pouvons avoir besoin de ce prestige et de cette force. La seule chose qui importe est qu’il ne se fasse lui-