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dans une brutale impétuosité de torrent, toutes les hordes du Nord ; ce fut par l’écrasante supériorité du nombre sur un adversaire que déconcertait une tactique non encore étudiée. Quand les Grecs, sous Basile II, se mirent résolument à l’œuvre, pas une fois le tsar Samuel ne put remporter de victoire en bataille rangée : son succès de la Porte Trajane fut une surprise de nuit, dans un défilé, et largement compensée par la terrible surprise au gué du Sperchios. Presque aussitôt, nous le voyons se réduire à la défensive, se maintenir sur les hauteurs, remparer ses villes, barricader ses défilés. Entre les troupes qui enlevèrent ces hauteurs, ces remparts et ces défilés, et celles qui n’eurent, bien abritées, qu’à les défendre, la vraie supériorité militaire devait être du côté des premières. Elles durent avoir pour elles la fermeté dans la défensive, l’audace dans l’offensive, l’effort d’ensemble coude à coude, l’art des formations et des évolutions.

Les armées bulgares du Xe siècle nous apparaissent ou comme des hordes indisciplinées, ou comme une collection de milices paysannes conduites par leurs boïars, ou comme des bandes de haïdouks dévalant des montagnes. Il y eut certainement en Bulgarie un noyau permanent d’armée, comme la garde impériale, à lances d’argent et d’or, dont s’entoura Siméon ; peut-être n’y a-t-il jamais eu d’armée permanente.

Il est à remarquer que la Bulgarie infligea plus de désastres à l’empire quand elle gardait encore sa barbarie native ; elle lui fut moins redoutable quand elle essaya de retourner contre lui ses propres armes et sa propre tactique, quand Krum ou Siméon traînaient à leur suite 5 000 voitures d’artillerie. Assurément la race bulgare, dans les guerres du Xe siècle, manifesta les mêmes qualités de bravoure, de solidité et d’endurance qui se sont retrouvées sur les champs de bataille de 1885, à Slivnitsa et à Pirot. Contre les Grecs du Xe siècle, elle eut le désavantage d’hésiter entre sa primitive tactique et la tactique savante qu’elle prétendait emprunter aux impériaux. Elle tomba dans ce piège qui toujours tenta les peuples neufs. Elle se laissa surprendre on flagrant délit de transformation. Cela revient à dire que l’hellénisme avait sur elle, comme organisation politique et militaire, une avance de dix siècles, qui ne pouvait se regagner en quelques générations. La Bulgarie devait être nécessairement battue par ceux qu’elle avait acceptés pour ses maîtres en fait d’art militaire. C’est ce qu’éprouvèrent les rajahs de l’Inde contre les Anglais,