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Jean Tsimiscès fit sa rentrée à Constantinople dans un triomphe à la romaine. Le tsar de Bulgarie, Boris, petit-fils du grand Siméon, fils d’une princesse impériale de Byzance, dut suivre à pied le char de l’empereur ; puis, devant le peuple de la capitale, il dut se dépouiller de tous les attributs souverains, diadème, chlamyde de pourpre, brodequins rouges (campagia). Il fut ensuite promu à une des plus hautes dignités du palais, celui de magistros, tandis que son frère Romain, fait préalablement eunuque, obtenait un rang élevé dans la domesticité impériale. Il semblait que le triomphe de l’hellénisme sur son plus redoutable rival fût définitif et complet.

Il n’en était rien. La Bulgarie du Pinde restait intacte. Le comite rebelle, Sischman, était mort, peut-être empoisonné par son quatrième fils Samuel. Des quatre comitopouli, deux avaient été tués à la guerre, le troisième fut assassiné par ce même Samuel, qui prit en main le pouvoir. Pendant quarante années, il devait régner sur les cantons bulgares, serbes ou albanais qui composaient la Bulgarie occidentale. Celle-ci fut un empire bulgare à peu près comme l’Etat byzantin, avec ses provinces albanaises, slaves, arméniennes, syriennes, était un empire grec. Le souverain pontife de Rome, toujours empressé à faire pièce à celui de Constantinople, avait décerné à Samuel la couronne royale. Pourtant celui-ci ne méritait guère plus les faveurs du pape que celles du patriarche, car on l’accuse de ménagemens excessifs pour l’hérésie bogomile : à tel point que celle-ci, l’hérésie bulgare par excellence, la vraie « bougrerie », semblait être devenue la religion nationale de la Bulgarie de l’Ouest, également rebelle aux deux orthodoxies, en révolte contre tous les pouvoirs légitimes. L’Etat fondé par Sischman tenait la Serbie par les forteresses de Belgrade et Nisch ; la Bulgarie danubienne par Sofia, Pernik et une trentaine de châteaux forts ; la Macédoine par Skopia (Uskub) et Kiüstendil ; l’Albanie par Bitolia (Monastir), Biélograd (Bérat) et Janina. Le nouveau roi s’intitulait successeur d’Alexandre le Grand et de Pyrrhus, qu’il considérait sans doute comme des Slaves. Il avait installé sa capitale à Prespa, sur une petite presqu’île et sur un îlot rocheux du lac, où l’on voit encore aujourd’hui les ruines d’une porte, de palais, d’églises. A Ochrida, située sur le lac du même nom, « la ville aux cent ponts », la « Venise albanaise, » il avait réinstallé le patriarcat national.

A la faveur des troubles qui suivirent la mort mystérieuse de