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Sud et l’autre vers le Nord. De fait, il y avait maintenant deux empereurs, deux empires dans la péninsule. Immense était l’empire bulgare ; l’empire grec d’Europe n’était plus représenté que par deux groupes de territoires, comme enclavés dans les possessions de son redoutable voisin. Mais, en cette année 924, où se constata l’impuissance des Bulgares à se donner Constantinople pour capitale, il fut décidé qu’ils ne seraient pas le peuple impérial de l’Orient, les héritiers de l’ancien peuple-roi. Trois ans après, en 927, mourait Siméon.

Il n’aurait peut-être pas été indigne de la haute fortune qu’il avait rêvée. On peut lui reprocher ses emportemens de despote asiatique, ses atroces cruautés durant la guerre, la forfanterie qu’il apporta à se décerner, en vue de ces murailles qu’il ne pouvait enlever, une sorte d’apothéose impériale, forçant les populations grecques, « avec l’insolence habituelle aux Scythes, à l’acclamer Autocrator. » Mais par certains côtés, il rentre dans la famille de ces grands souverains à demi barbares qui se dévouèrent à civiliser leurs peuples ; presque chaque nation européenne honore l’un d’eux comme son premier initiateur : saint Vladimir de Russie, saint Etienne de Hongrie, Clovis ou Charlemagne chez les Francs.

Sous le tsar Siméon, la civilisation intellectuelle de Byzance dut pénétrer assez profondément la Bulgarie. Comme son savant confrère de Constantinople, Constantin Porphyrogénète, Siméon avait le goût des lettres ; il s’entoura d’une cour de beaux esprits ; il encouragea les plus instruits de ses sujets à composer des traductions, des adaptations, des anthologies de la littérature byzantine. Il faisait traduire en bulgare, par le pope Grégoire, la Chronique de Malalas ; par l’évêque Constantin, les Discours de saint Athanase contre les Ariens ; il se laissait dédier par Jean l’Exarque son Explication des Évangiles et son Tableau de la Création ou l’Œuvre des Six Jours. Il patronnait une vaste compilation des Pères de l’Église. Les disciples de Cyrille et Méthode, chassés de la Grande Moravie par l’invasion madgyare, lui apportaient de précieux manuscrits ou composaient pour lui des ouvrages, comme les sermons, panégyriques et Vies des Saints, par Clément ; la Vie de saint Méthode, par Gorazd ; l’Invention des Lettres slaves, par le moine Chrabr. Lui-même aspirait à la gloire littéraire : il écrivit le Flot d’Or, anthologie de saint Jean Chrysostome. Ses flatteurs le comparaient à « une délicate abeille