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de saisir le rôle prépondérant ; mais c’était quand l’empire grec, mortellement atteint par le coup que lui avait porté la croisade de 1203, achevait de se disloquer ; quand la Bulgarie, un moment ressuscitée par une dynastie valaque, s’effondrait de nouveau dans l’anarchie ; quand le conquérant destiné à triompher à la fois de l’hellénisme et du slavisme allait prendre pied à Gallipoli. Ce fut à ce moment de désagrégation universelle dans le reste de la péninsule que toutes les tribus serbes se trouvèrent réunies sous le grand Etienne Douchan (1331-1355). Il imposa son alliance ou son protectorat à cette même Bulgarie dont ses ancêtres avaient été les vassaux, conquit les provinces grecques du Nord jusqu’à la Maritsa et jusqu’à l’isthme de Chalcidique, s’étendit dans la Macédoine et l’Albanie. Estimant que le titre de kral (roi) ne répondait plus à un tel degré de puissance, il se proclama tsar (empereur) à la fois des Serbes et des « Romains, » et, pour mieux affirmer la grandeur de sa nation, mit à la tête de son Eglise non plus un simple archevêque, dépendant du patriarche de Byzance, mais un patriarche de Serbie qui marcherait l’égal de celui-là. A la fois grand guerrier et sage législateur, il crut qu’il lui appartenait de substituer à la race grecque et à la race bulgare également en déclin la race encore intacte et toute neuve des Serbes. Pour atteindre ce but suprême, il fallait que le nouveau tsar des Slaves et des « Romains » pût s’introniser dans Byzance, chassant du trône impérial l’héritier dégénéré de Constantin. Sans doute alors la péninsule serait devenue un grand empire serbe, le tsar-basileus Etienne Douchan se fût installé à Constantinople en interprète des lois de Justinien et de Basile le Grand, en défenseur de la foi orthodoxe contre le schisme latin et l’invasion de l’Islam, peut-être en restaurateur de la civilisation. Aux Ottomans déjà prêts à franchir le Bosphore, il eût, comme il le disait, opposé, ce que la race hellénique était maintenant impuissante à leur montrer, « une vraie nation et une vraie armée. » Peut-être le sort de l’Europe orientale eût été modifié profondément, au grand profit de l’humanité tout entière. Mais l’année même qui précéda celle de la descente des Turcs à Gallipoli, Etienne Douchan, campé avec un matériel de siège sous les murs de Constantinople, périt de mort subite (20 décembre 1355). On dit que ses voïévodes s’écrièrent : « A qui l’Empire ? » Cette question s’était bien souvent posée dans les siècles qui précédèrent cette période si courte de la puissance des Serbes : jamais,