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l’ombre, au sein de cette nature, semblaient en condenser toute la douceur éparse. Des chemins dévalaient vers une eau limpide où les pèlerins se lavaient dans le reflet des branches. La grande avenue montait en tournant avec sa chaussée de galets arrondis et ses deux pâles sentiers de terre jaune. D’espace en espace des portiques, ou torii, anciens perchoirs du haut desquels les oiseaux offerts aux dieux annonçaient l’aurore, étendaient sur nos têtes leur solive horizontale et légèrement arquée. Et nous parvînmes au temple de la déesse Soleil, à ce temple universellement vénéré où chaque année, dans la saison du riz, un envoyé de l’empereur dépose les prémices de la récolte.

Son toit de chaume à pente raide, dont les poutres extrêmes se prolongent et se croisent dans l’air, son balcon circulaire à peine exhaussé de deux marches, ses portes à tourillons dénotent l’architecture de la hutte primitive. Sa cour, tapissée de cailloux polis par la mer et les torrens, ressemble à une grève desséchée. De son enclos en bois de cryptoméria on dirait la palissade d’un corral. Sa porte d’entrée que nul ne franchit est tendue d’un voile diaphane et blanc qui ne cache rien, si ce n’est l’invisible. Point de décoration ; aucune image. Le miroir, les gohei, ces caducées aux bandelettes de papier, les reliques du temple, soies précieuses, ornemens de sellerie pour les chevaux sacrés, sont enfermés dans l’humble dépendance des trésoreries et n’en sont tirés qu’aux fêtes solennelles. Et cette simplicité déconcertante et périssable a je ne sais quoi de divin. De tous les temples que j’ai visités en Extrême-Orient, seul, le temple shintoïste m’a produit, à moi profane, une émotion religieuse. Il peut dénoncer l’indigence native des Japonais, mais je perçois dans leur âme une étincelle mystérieuse qui combine les élémens les plus simples pour en faire quelque chose d’exquis. Avec des planches à peine équarries, des pierres ramassées au lit d’un torrent, de la paille, des poutres, un rideau et la magie de la nature, ils vous donnent l’impression qu’un dieu est là.

J’ai connu, dans l’Amérique du Sud, un fils de paysan qui, devenu puissant et riche, s’était bâti des palais entourés de parcs merveilleux. Au centre même de ses domaines, on voyait une pauvre petite cabane où une vieille femme tournait son rouet. C’était sa maison natale et la femme était sa mère. Malgré l’invasion des magnificences bouddhistes, les Japonais ont pieusement conservé à leurs dieux indigènes leur première chaumine,