Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/398

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si le shintoïsme engourdit chez l’homme la faculté spéculative, il met à sa portée, sous une forme que l’usage enrichit, deux ou trois principes essentiels qui suffisent à faire je ne dis pas un grand peuple, mais un peuple aimable, sain et même fort.

Sans dogmes, sans bible, sans échappée vers la vie future, il le retient ici-bas et circonscrit sa vision aux objets qui l’entourent. Ces objets sont charmans. Les pieds humains foulent avec une tranquille ivresse la « route des dieux » tracée dans les fleurs. Si bas qu’elle descende et si haut qu’elle monte, les yeux ne la perdent jamais. Collines, vallées, forêts, apparition vivante des îles sur la mer, toutes les saisons la colorent : l’été de son vert sombre, l’automne de sa pourpre. Son printemps a des neiges ; son hiver des parfums. Les coups de tonnerre de la nature s’y achèvent en sourires. Dans cette lumière et cette beauté, le premier besoin qui s’éveille chez l’homme est d’y répondre par la pureté de son corps. Il craint les souillures, et la souillure de l’enfantement, et la souillure de la mort, et tout ce qui peut blesser devant ses pas l’image d’une santé brillante et parfaite.

Le rite fondamental du shintoïsme fut une règle d’hygiène. Les purifications qui accompagnaient la naissance et suivaient les funérailles persistent encore sous les vieux usages. On répand du sel dans la chambre des malades ; on en jette sur les personnes qui reviennent d’un enterrement. Le sel est un antiseptique expiatoire. Les ablutions religieuses se sont transformées en immersions quotidiennes et domestiques. De l’empereur jusqu’au dernier kurumaya, les Japonais se plongent tous les jours dans leur piscine. Le manque de netteté sur eux et autour d’eux les scandalise. Ils y voient plus que de la négligence, presque du sacrilège. Car les dieux sont partout, et le nom de kami ne s’applique pas seulement aux divinités créatrices ou aux hommes « supérieurs : la montagne est kami ; la mer orageuse est kami ; l’arbre, la plante, le fruit, la fleur, la pierre, qui parlaient dans les premiers temps du monde, sont kamis ; ce qui sort de la main des hommes pareils aux dieux peut être kami ; l’air, cet air du Japon si transparent et si salubre, est plein de kamis, divins courriers des âmes en prière. Rien ne doit profaner ces êtres vénérables qui se manifestent à nos cœurs comme la brise à nos sens. La propreté de la ménagère est un acte de piété. Ce serait offenser un Invisible que de salir les nattes de sa maison ou de mêler à la cendre de l’hibashi quelque matière impure. Nous manions rudement nos esclaves