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des hommes presque nus qui, pour accomplir un vœu sacré, couraient une clochette à la main. La foule et les kurumayas s écartaient devant ces coureurs ruisselans, éclaboussés jusqu’aux épaules, et le bruit galopant de leur sonnaille décroissait dans l’ombre où les marchands de macaroni égrenaient leur mélopée criarde. Chaque maison, riche ou pauvre, a son autel des ancêtres : des baguettes d’encens, des coupes de saké, des offrandes de riz, des fleurs y honorent les tablettes aux caractères chinois où vivent sous leur nom posthume les âmes des morts. Tous les enfans sont portés au temple, trente et un jours après leur naissance si ce sont des garçons, trente-trois si ce sont des filles ; et chacun d’eux est voué à une divinité qui deviendra comme son ange gardien. Tous les défunts, les mains jointes, assis sur leurs talons dans leur coffre funèbre, sont accompagnés au cimetière par leurs bonzes ou leurs kanushi. Les dieux sont associés à toutes les fêtes. Point de semaine où un quartier de la ville n’illumine son temple et n’en chôme le patron. Les plus beaux sites sont des lieux de prière. L’homme n’y peut faire un pas sans qu’un portique, un autel, une corde de paille, une pierre sacrée mêle au sourire de la nature la présence d’un hôte surnaturel. Lorsque les cerisiers en fleur mettent le peuple en liesse et que la ville entière se répand au parc d’Uyéno, les temples bouddhistes, dont le crépuscule étoile de cierges estompe les idoles et adoucit la splendeur du bronze et des laques, ouvrent au sein de l’illusion printanière leur pénombre odorante où retentissent les tambours et les flûtes de Pan. Des prêtres glissent devant les autels comme des ombres magnifiques. Plus loin, sur l’estrade que les enceintes du Shintoïsme réservent aux danses, les petites prêtresses aux gestes lents célèbrent leur mystère, tandis que la foule fait ses dévotions, banquette et murmure dans l’éblouissement des fleurs et respire jusqu’à l’ivresse leur léger parfum d’amande amère. Les adolescens et les jeunes filles rient sous leur masque de papier et se poursuivent autour des lanternes neigeuses. La volupté profane s’entrelace aux vieilles religions et plie ses modes d’ordinaire inconstantes à leur stabilité ; et, depuis des siècles, rien n’a changé sur la terre japonaise, ni les fleurs, ni le culte des fleurs, ni la musique, ni les danses, ni les masques, ni les dieux.

Et cependant le christianisme et les philosophies d’Europe y ont pénétré et s’y propagent. Le catholicisme a retrouvé, sous