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de ses origines ne s’éclaire qu’à la lumière de la « littérature comparée, » et il est de savoir pour quelle part sont entrées, dans la détermination de ses caractères essentiels, la volonté de réagir contre les habitudes littéraires de la France, et l’ambition de rivaliser avec l’Angleterre dans l’expression de ce que Mme de Staël a la première appelé le génie des races du Nord.

Quoi qu’il en soit de la proportion de ces deux élémens dans la formation de la littérature allemande, ce qu’il y a de certain, c’est qu’aux environs de 1810 on la voit soudainement se révéler au monde, et, par ses critiques, par ses poètes, par ses philosophes, prendre à son tour la direction du mouvement intellectuel. Elle le doit un peu à Mme de Staël. C’est Mme de Staël qui, dans son livre de la Littérature d’abord, et depuis dans son Allemagne, ayant posé la distinction lumineuse des « littératures du Nord » et des « littératures du Midi, » a induit les premières à chercher l’expression de leur originalité dans leur opposition même aux secondes, et ainsi à faire du « romantisme, » avant tout et en dépit de tout, l’antithèse du « classicisme. » Elle le doit au génie de ses grands écrivains, si l’Europe moderne n’a pas connu de critiques plus pénétrans que Lessing ou qui aient répandu plus d’idées que Herder, ni de plus grands poètes que Gœthe et que Schiller, ni de plus profonds philosophes que Kant et que Hegel : il n’y a que Schiller que je crains qui soit un peu surfait dans cette rapide énumération. Et elle le doit enfin à son caractère profondément individualiste, qui est encore celui dont l’auteur du livre de l’Allemagne avait été le plus frappé. On remarquera que s’il n’y en avait pas qui pût plus séduire les Anglais en leur montrant dans la littérature allemande une continuation de la leur, il n’y en avait pas qui pût mieux convenir à nos romantiques, ou les servir plus efficacement, dans le grand combat qu’ils avaient entrepris contre le classicisme. C’est ainsi que s’est établi l’empire de la littérature allemande chez nous et de l’autre côté de la Manche, pour durer, comme on sait, jusqu’aux environs de 1870 ; gagner alors en Italie et en Espagne ce qu’il perdait en France ; et plus récemment enfin s’étendre jusqu’aux États-Unis.

Je ne crois pas devoir ici parler de l’influence encore actuelle des littératures de « l’extrême Nord, » je veux dire la russe et la scandinave. Il n’y a pas assez longtemps qu’elles sont entrées, si je puis user de l’expression diplomatique, dans le concert de la