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trop pareil à sa mère, une créature dont il avait dû se séparer ? Gontran, petit crevé gros et fort comme un Turc, s’était, aux premiers bruits de la guerre, découvert une irrésistible vocation d’infirmier, puis, bientôt las du brassard, il était parti retrouver à Londres d’autres compagnons de plaisir.

Dans le court silence qui suivit, la voix de Poncet s’éleva, continuant d’horripiler Mme  de la Mûre que l’éloge de Gambetta et tout ce qui touchait à la République, par conséquent à la Défense, faisait bondir :

— Mais songez donc, Madame, à la prodigieuse énergie de cet homme, à l’impulsion qu’il a donnée à la nation entière. En quinze jours, cet avocat de trente-deux ans, improvisé ministre de la Guerre et de l’Intérieur, non seulement rétablit l’ordre, mais, à force d’activité, de divination, d’entrain, rend confiance aux troupes, en fait jaillir du sol de nouvelles, crée du jour au lendemain des approvisionnemens, des armes. Ce que j’admire en lui, c’est moins ses étonnans côtés pratiques que le souffle fiévreux, l’intense patriotisme qui l’anime.

— Pourquoi pas 93 tout de suite ? lança M. de la Mûre.

Poncet répliqua :

— 92 seulement ! La Patrie en danger, la levée en masse !

Cette idée, continuait-il avec une conviction éloquente, écouté de tous, sauf d’Eugène et de Marie isolés dans la contemplation l’un de l’autre, cette idée du pays debout contre l’oppresseur était le grand honneur de Gambetta. La guerre, sacrilège en dehors des frontières, est sacrée en dedans. Vaste et criminel assassinat lorsqu’elle poursuit un but de conquêtes, c’est le premier, le plus beau des devoirs, aussitôt qu’elle défend les champs, les villes, la race même, les trésors et le passé d’un peuple, la patrie. Il fallait savoir gré à Gambetta, à ses collaborateurs, de leur immense effort. Rien qu’au ministère de la Guerre, délégué à un ingénieur civil, Charles de Freycinet, en deux jours le service avait été réorganisé. Il n’existait qu’un seul exemplaire de la carte d’état-major, trouvé à grand’peine ; par la photographie, l’autographie, on en fabriquait des milliers. Un bureau de reconnaissances centraliserait les renseignemens sur l’ennemi. Un comité d’étude des moyens de la Défense, avec Naquet, — Poncet était trop modeste pour parler de lui, — examinait, utilisait les inventions. On allait en Amérique chercher des canons, des harnais. On achetait des fusils à toutes les industries d’Europe. À Tulle, à Saint-