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Monténégro, 29 juillet 1900. Nous y lisons, par exemple : « C’est du bûcher sur lequel le peuple excité brûla le cadavre de César assassiné que surgit l’Empire romain, et, si César donna son nom à nos montagnes, Auguste, que cet assassinat fit monter tout jeune sur le trône, fut celui qui les annexa à l’Italie. » On ne saurait inventer une plus somptueuse parabole pour diriger vers les Alpes Juliennes l’œil nerveux de Victor-Emmanuel III. Nous apprenons, dans le même fascicule, que les Italiens de la rive orientale de l’Adriatique élevaient chaque jour vers Humbert Ier, « mort comme le Christ, parmi le peuple qu’il aimait, » la prière consacrée : Adveniat regnum tuum ! Ainsi, « des Alpes au Monténégro, » l’ « Italie » souhaite le règne de la maison de Savoie.

Il y a dans la fortune et dans les exodes de cette maison une sorte de rythme, constamment régulier, qui sans cesse la pousse vers l’Est : M. Georges de Manteyer, remontant vers un lointain passé, nous la montrait s’acheminant depuis Sens et depuis Troyes jusque vers Turin, après un crochet sur Vienne en Dauphiné, voire même sur Arles. La voilà qui, de Turin, fait un crochet sur Florence, voire même sur Rome : une femme de lettres très familière avec ces épisodes, Mlle Melegari, a déjà commencé d’écrire, sur ces trois capitales, une sorte de trilogie qu’en dépit du cadre romanesque l’histoire devra consulter. Mais les irredentistes de survenir : ils demandent qu’après ces crochets, la maison de Savoie prenne rendez-vous avec eux de l’autre côté de l’Adriatique ; et de même qu’au Xe siècle le mariage d’Odon et d’Adélaïde fut pour cette auguste famille l’occasion de franchir les Alpes, de même, à la fin du XIXe siècle, elle met l’Adriatique à l’épreuve par un voyage d’amour à Cettigne, et ce voyage réussit.


Silence pourtant à l’irrédentisme ! Il est la poésie de la politique. La question sociale, plus prosaïque, mais plus légitimement impérieuse, rappelle et retient Victor-Emmanuel III. Un parti nombreux, et qui chaque jour va grossissant, réclame, avant tout, des réformes sociales. Naguère, ici même, on en a signalé l’urgence pour les Calabres et les Fouilles[1]. Victor-Emmanuel III, s’il veut être le témoin des plus épouvantables misères, n’a point à descendre si loin : la campagne romaine est à sa porte, et la

  1. Voir G. Goyau, Lendemains d’unité : Rome, royaume de Naples. Paris, Perrin, 1900.