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général Pelloux les renvoya devant leurs électeurs ; ils sont revenus à Montecitorio au nombre de quatre-vingt-quatorze, et la place qu’ils occupent dans le pays est beaucoup plus considérable.

Le Parlement, par définition, est la représentation du peuple italien : le fait dément cette définition. Entre 1882 et 1892, il y avait en Italie, tant en vertu des capacités qu’en vertu du cens, 2 900 000 électeurs ; les réformes réactionnaires de M. Crispi abaissèrent ce chiffre jusqu’aux approches de 2 millions : le corps électoral italien est un corps électoral épuré.

Joignez-y qu’il est fort hétérogène. Dans le Nord, l’électeur est assez éveillé à la vie politique : il en a, de longue date, les traditions, et pour les ressaisir, il n’a qu’à se rappeler les actives municipalités du moyen âge ; il attache quelque prix au suffrage qu’il émet. Dans le Sud, l’électeur est trop souvent une machine à voter : il ne demande rien de sérieux à ses mandataires, parce qu’il prend peu au sérieux le principe même du mandat ; volontiers il transforme en maître le député qu’il se donne, ou tout au moins il ratifie par cette élection l’hégémonie d’une coterie locale ; le sens de la profession civique, l’idée de la vie nationale, lui font défaut. Or dans le Nord les abstentions sont nombreuses, et dans le Midi les électeurs sont très empressés ; parmi les 1 360 906 suffrages dont le dépouillement a créé le Parlement actuel, le plus grand nombre sont des suffrages méridionaux. Le Midi, qu’on a pu dénommer l’Italie barbare, et dont les gazettes locales, croissant en nombre mais non point en valeur, sont, non pas même des organes de parti, mais les émissaires d’insignifiantes camarillas de clocher, est beaucoup plus assidu près des urnes que la région du Nord, qu’on pourrait qualifier d’Italie cultivée, et dont la presse est digne d’un grand Etat.

Dans la plupart des pays, l’abstention politique est un acte d’indifférence : il en est autrement, parfois, en Italie. Le Bergamasque et le Vénitien qui adressent au Vatican leur carte d’électeurs vierge de tout usage, prétendent faire un acte politique : ils montrent au Pape, par là, et indirectement au Roi, leur active volonté de ne prendre aucune part à la vie centrale de la nation. Le Méridional, au contraire, qui va voter au sortir de la messe, non sans avoir demandé au syndic quel est le candidat qui, sur le marché des voix, a garanti la plus forte mancia, n’a pas encore compris et n’est pas proche de se convaincre qu’on