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aux autres, s’il le faut aussi, pour épuiser tout son droit. On affirme que, d’instinct, il était, en sa prime enfance, assez peu militaire, mais que la dignité de prince royal eut raison de l’instinct, et qu’entre sa frêle prestance et son uniforme de général, son vouloir et l’habitude finirent par créer l’harmonie. On cause beaucoup, d’autre part, de son premier contact avec ses ministres, et de l’assidue curiosité avec laquelle il les a mis sur la sellette, les uns après les autres, les obsédant d’interrogations précises sur les affaires de leurs départemens, et semblant toujours sur le point de leur poser la question de confiance, tout comme s’il eût été, lui Victor-Emmanuel, une de ces incarnations très fragmentaires de la souveraineté nationale qu’on nomme des députés ; les ministres, même, se seraient demandé, entre eux, si ce n’était point là une façon de leur donner congé ; ils ont conclu que non et sont restés en charge, mais en constatant chez leur maître une façon nouvelle d’être roi qui comporte une façon nouvelle, plus ponctuelle et plus absorbante, d’être ministres. A sa propre surprise, ce jeune prince devint militaire, comme l’était Humbert Ier ; à la surprise de ses ministres, ce militaire agit en roi.

Il est à l’âge, d’ailleurs, où l’on imite encore, qu’on en ait conscience ou non. Aurait-il longuement médité, dans sa studieuse retraite napolitaine, les fortes et durables impressions que durent lui laisser, il y a huit ans, ses fidèles chevauchées auprès d’un autre jeune homme couronné ? C’était à Metz ; l’armée allemande déployait ses grandes manœuvres. Guillaume II, quelque assuré que fût le sabot de son cheval, ne pouvait se défendre, en foulant la terre messine, de la sentir quelque peu mouvante ; et les artistiques efforts que probablement il tentait pour se raidir contre cette sensation désagréable devaient ajouter à son prestige naturel je ne sais quoi de contraint, d’étudié, de facilement imitable aussi, tout de suite frappant pour un spectateur novice : le prince de Naples, peut-être, rapporta ce spectacle au delà des Alpes. Montré à son peuple futur, en 1872, du haut du balcon du Quirinal, par Frédéric-Guillaume, prince héréditaire de Prusse, prince impérial d’Allemagne, montré à l’Europe, en 1893, dans les plaines lorraines, par Guillaume II, roi de Prusse, empereur d’Allemagne, Victor-Emmanuel III semblait doublement pré- destiné pour assouplir son tempérament de roi « libéral, » hérité de la maison de Savoie, aux leçons et aux exemples de gouvernement que la maison de Hohenzollern prodigue volontiers