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REVUE DES DEUX MONDES.

le 30 octobre à Dijon, bravement défendue par une faible garnison. Depuis tout s’était borné à des escarmouches de partisans, à l’heureuse surprise de Châtillon-sur-Seine par Ricciotti Garibaldi.

Frédéric, le nez à la fenêtre, contemplait le spectacle qui depuis le matin animait rues et places. Autun semblait une ville conquise. Chariots et fourgons, montures d’état-major, causaient un enchevêtrement inextricable. Une foule hétéroclite, déjà remise de sa débandade, tenait le haut du pavé, traînant le sabre et parlant fort. À côté des patois italiens les idiomes les plus divers : le polonais, l’anglais, le turc. Des Espagnols à interjections gutturales coudoyaient des Égyptiens silencieux et basanés, des Grecs à figure noble. Il y avait de tout dans cette armée, pompeusement titrée Armée des Vosges, et répartie en quatre brigades commandées par le vaillant général Bossak-Hauké, un Polonais proscrit, ancien colonel de l’armée russe ; par le colonel Delpech, hier encore préfet de Marseille, avant-hier teneur de livres ; enfin par les deux fils de Garibaldi, Menotti et Ricciotti. Issue de rien, elle comptait aujourd’hui douze mille hommes, où l’on voyait de l’excellent et du pire, des braves et des lâches, d’honnêtes mobilisés et des francs-tireurs de tout poil, les corps libres les moins disciplinés de la France, pêle-mêle avec des aventuriers venus des quatre coins du monde. Pas de jour où ne s’élevassent des plaintes d’habitans, de prêtres molestés, de commerçans volés. Et cependant, de cette tourbe bariolée, de cette lie écarlate, où s’étaient égarées bien des bonnes volontés, on pouvait attendre d’héroïques exemples de ce courage que donnent la brutalité des penchans et le dédain de la mort. Frédéric avait pu en juger à l’attaque de Dijon.

Un petit vieillard olivâtre, revêtu d’une pelisse à brandebourgs, entra dans un cliquetis de sabre et d’éperons.

Il maggior ! dit le garibaldien.

Frédéric exposait sa demande ; on ne pensait pas que ses hommes allaient marcher sans souliers, se battre sans cartouches ! Le Niçois l’ayant toisé avec la visible antipathie qu’il portait à tout ce qui n’était pas chemise rouge, s’asseyait à sa table, soulevait la bouteille d’absinthe. Satisfait de la retrouver au même niveau, il daigna secouer la tête, déclarer que les Bureaux de la Place n’étaient pas un magasin. Voir au quartier général !