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broie tout sentiment individuel, étouffe toute pitié, toute fraternité, pour la guerre qui brûle, qui viole, qui saccage, qui massacre, pour la guerre qui change l’homme en bête sauvage !…


La nuit du 27, en pâlissant, laissa voir dans l’ombre terne et le froid du petit matin la compacte ondulation de divisions en marche. Ce n’étaient pas le 15e et le 16e corps sortant enfin de leur trop longue inaction, c’étaient, beaucoup plus à l’Est, du côté de Beaune-la-Rolande, le 18e et le 20e qui, sur les ordres du délégué à la guerre, tentaient l’offensive, à l’extrême droite. L’armée de la Loire, à ce moment, se composait du 17e corps, général de Sonis, couvrant la gauche ; au centre, des corps de Chanzy et de Martin des Pallières, qui avait remplacé d’Aurelles, promu au commandement en chef ; enfin des deux corps qui évoluaient en ce moment, le 18e, dirigé par le chef d’état-major colonel Billot, et le 20e, général Crouzat. De ces trois corps nouveaux, éclatant témoignage de l’activité de Gambetta et des bureaux de la guerre, le 17e en avant de Châteaudun, venait de faire une reconnaissance heureuse à Brou ; mais inquiété par les troupes du grand-duc de Mecklembourg, il s’était replié en désordre sur Écoman, permettant aux Allemands de réoccuper Châteaudun. Quant au 18e, formé à Nevers, transporté à Gien et de là à Montargis, il manquait de commandant ; le 20e, composé des élémens hétérogènes qui avaient opéré dans les Vosges, arrivait seulement, après avoir couvert Lyon, si mal équipé que quantité de mobiles étaient en blouse, les pieds enveloppés de toile ou de peaux de mouton.

Inquiet de voir s’accomplir sans entrave la concentration de l’armée de Frédéric-Charles, las de l’inertie de d’Aurelles, dont il ne pouvait tirer une velléité d’action, et voyant les effets démoralisans de la vie de bivouac, pressé d’ailleurs par les dépêches de Paris réclamant un concours rapide, Freycinet avait fini par s’arrêter au plan d’une marche sur Fontainebleau. Si l’armée de Paris trouait, ce ne pouvait être que dans cette direction. Ainsi, en s’avançant vers Beaune-la-Rolande et Pithiviers, on lui tendait la main. Mais surtout, le mouvement commencé entraînerait d’Aurelles, aurait l’avantage d’opérer une diversion nécessaire pour dégager les provinces de l’Ouest, où s’opérait la formation du 21e corps, et la gauche de l’armée de la Loire, menacée par le grand-duc de Mecklembourg. Malgré les con-