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LES TRONÇONS DU GLAIVE.

confins du monde les palpitations du cœur national qui, Paris bloqué, battait à Tours. C’est là que venaient s’amonceler lettres et dépêches après la course périlleuse des ballons, là que les pigeons prenaient haleine, avant de remporter en plein ciel, vers la ville captive, leurs messages ailés, guettés des faucons et des balles.

— Au fait, que je vous montre quelque chose ! dit Poncet.

Il le conduisit dans une autre partie des bâtimens ; un employé sourit en les voyant venir.

— Il y en a justement de ce matin, fit l’homme ; avec précaution, sans bruit, il les introduisit dans une vaste pièce aux fenêtres grillagées, salon démeublé qu’on avait transformé en volière. Contre le mur du fond, un large perchoir s’étalait, couvert de pigeons endormis. D’autres, sur le tapis semé de bassins miroitant d’eau claire, lustraient leurs plumes, se nettoyaient les pattes à petits coups de bec minutieux. Poncet prit des mains du gardien un morceau de pain qu’il émietta. Certains, apprivoisés, venaient dans un battement d’ailes saisir au bout de ses doigts une parcelle à la volée. Un se laissa prendre et caresser.

— Quand ils arrivent ahuris, froissés par la cage étroite et les secousses de la nacelle, dit Poncet en lissant de sa main osseuse le tiède duvet de neige, ils ont beau être affamés, ils ne mangeraient pas avant d’avoir pris leur bain et fait leur toilette. Il baisa sur la tête le pigeon inquiet : « Cher petit, tu ne sais pas, quand l’amour te ramène au colombier, la beauté de ton rôle, quels vœux te suivent, quelle impatience t’attend ! »

Et cet homme à l’apparence bourrue, cet amant des pauvres et de l’humanité, qui par horreur de la guerre ne rêvait aujourd’hui que moyens de destruction terribles, mettant la science au service du meurtre, eut, en reposant l’oiseau sur son perchoir, un regard d’une douceur infinie.

Au Maréchalat, où fonctionnaient les bureaux de la Guerre, un empressement d’affairés, de quémandeurs, ceux qui venaient offrir des plans, des inventions, ceux qui rôdaient autour des marchés avantageux ; on les voyait dans les jardins feuilleter leurs carnets, parler chiffres et fournitures, s’éloigner en courant vers le télégraphe ou la gare pour faire affluer sur Tours leurs commandes trop souvent fallacieuses : draps brûlés, souliers à semelle de carton, armes de pacotille. À côté d’achats excellens, de détestables. Des fusils hors d’usage, vendus à bas prix à l’Italie,