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La nomination du feld-maréchal de Waldersee n’a pas été moins imprévue que la plupart des autres manifestations de la volonté impériale. Guillaume a mis subitement le monde en face d’un fait accompli, en lui demandant une adhésion et non pas un conseil. Depuis, dans un discours retentissant comme sont tous ceux qu’il prononce, il a causé une nouvelle surprise en assurant que c’était l’empereur de Russie qui avait eu la première idée de la nomination du feld-maréchal de Waldersee. Il y a là un problème politique, ou peut-être psychologique, dont la solution échappe. Nous ne nous chargeons pas de démêler dans quelle mesure, ni sous quelle forme, les deux empereurs se sont mutuellement suggestionnés ; et d’ailleurs, peu importe. Si l’idée première est réellement venue de Saint-Pétersbourg, on s’en est emparé à Berlin avec tant de hâte que l’empereur Nicolas n’a même pas eu le temps de nous en parler. Cette précipitation est curieuse à relever : elle donne la sensation d’une harmonie préétablie. Quoi qu’il en soit, la nomination du maréchal de Waldersee, si elle était vraiment désirée en Russie, n’était attendue nulle part ailleurs. On l’a acceptée, et nous l’avons acceptée comme les autres, malgré les répugnances particulières que nous pouvions en éprouver, parce qu’il n’y avait vraiment rien à dire contre l’illustre maréchal. Il passe dans son pays pour un homme de guerre de premier ordre. Il jouit d’une réputation européenne, et tous les connaisseurs assurent qu’elle n’a rien d’usurpé. Il fallait donc bien s’incliner. Plus tard l’empereur Guillaume, dans un nouveau discours, a affirmé que l’adhésion universelle au choix qu’il avait fait était une reconnaissance non moins universelle de la supériorité de l’Allemagne, tant au point de vue de l’organisation qu’au point de vue de l’action militaire. En cela il se trompe, et, si la question avait été préalablement posée de la sorte, elle aurait reçu des solutions moins uniformes. Mais, dans cette affirmation toute personnelle de l’Empereur, on aperçoit un trait de son caractère et une aspiration à l’hégémonie militaire dont on doit désormais tenir compte. Il y a en tout cela un étalage de puissance qui peut faire des effets assez différens sur l’Europe et sur la Chine : nous souhaitons sincèrement que l’effet produit sur la Chine soit de nature à la faire réfléchir sur les projets ultérieurs de l’empereur Guillaume, et l’amène en conséquence à des dispositions immédiatement conciliantes. Ce qui frappe dans les allures de la politique allemande, c’est la mise en œuvre de moyens disproportionnés avec le but à atteindre, à supposer du moins que ce but soit bien celui qu’on avoue. Le feld-maréchal de Waldersee s’imposait, ne fût-ce que par le bénéfice de son grade,