Cette hospitalité mélancolique et sombre
Qu’on se donne et se rend de Stuart à Bourbon,
il ne me semblait pas que le génie du lieu fût pour nous un
génie étranger. Et cette impression s’affirma parmi les ruines d’où
monte la religion du passé comme un encens dans l’air du soir.
Elle ne se démentit point au contact plus direct de la nature
éternelle et de la vie quotidienne. Le génie écossais est pareil au
nôtre comme l’églantine des haies à la rose des jardins royaux.
Il en diffère comme le sol et le ciel des deux pays. L’irruption de
la mer dans les déchirures des côtes, le sommeil embrumé des
pâturages, la verte aridité des montagnes ou la poésie mélancolique de leurs landes violettes, la solitude nuageuse et glacée des
rives septentrionales, ont attristé et durci la destinée de ce fier
petit peuple en qui nous pouvons reconnaître encore, sous des
formes plus rudes, l’idéalisme, la grâce et la courtoisie du pays
de France. L’histoire acheva la différence. L’héroïsme écossais
dut s’obstiner surtout aux luttes pour l’indépendance. Sa ténacité
maintint une nation. Les Robert Bruce et les Wallace dressèrent
sur les droits de leur pays des épées tutélaires qu’auraient saluées
Joyeuse et Durandal ; les licornes d’Ecosse firent reculer à Bannockburn l’étendard que la bannière de Jeanne délogea d’Orléans ;
et ce n’est peut-être pas une illusion d’imaginer que la race qui
vécut des siècles de luttes et de rêves à l’extrémité affinée de la
grande île britannique accueillit sur sa rude terre et sous son ciel
changeant les chimères exilées du redoutable empire des Angles.
Un homme d’esprit qui connaît à fond les pays d’outre-Manche
me disait un jour : « Si la géographie était raisonnable, elle eût
retourné l’Angleterre pour mettre l’Ecosse en face de nous. »
Quand, au retour, je m’arrêtai à Glascow pour y prendre l’express de Londres, l’empreinte de la brutale civilisation anglaise, qui finira peut-être par transformer le vieux royaume après l’avoir conquis, me rendit méconnaissable la terre des montagnards rebelles, de la reine Marie et de Walter Scott. Mais l’image de ce noble pays obsédait ma mémoire et je ne la vis pâlir qu’avec les étoiles, à l’heure où dans la nuit blanchissante, frissonnant à l’arrière du navire qui traversait la Manche, j’ai deviné, indécise encore à l’horizon lointain, la ligne gris-bleu de la côte de France.
FIRMIN ROZ.