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Le commandant est parti, d’assez méchante humeur dans son bel habit brodé. Beaucoup de baleinières sur rade et de jolies vedettes à vapeur. Beaucoup d’officiers généraux qui circulent « avec leurs marques distinctives » et, chaque fois qu’ils passent dans nos environs, vite il faut appeler la garde et rendre les honneurs. C’est même assez amusant pour le spectateur, sinon pour la garde, qui, appelée à grands cris de l’avant à l’arrière et de l’arrière à l’avant, exécute de vrais steeple-chase en courant sur un pont fort encombré. Eveno y est incomparable. Son fusil d’une main, son fourreau de sabre-baïonnette de l’autre, il saute, il saute, il bouscule les torpilleurs et leurs câbles électriques, tout du long étendus… Et des malédictions étouffées, dont il n’a cure, courent après lui…


11 heures. — Les illuminations, le combat naval.

Vraiment cela est beau ! Et non pas tant par l’éclat, la variété de ces illuminations, l’art charmant de quelques-unes, l’inattendu de quelques autres, que par la puissance de l’ensemble, de la simultanéité, c’est-à-dire, au fond, par l’impression intime que l’on a d’une forte volonté ponctuellement obéie par une foule d’autres volontés. Et même (discutons un peu avec notre admiration) il est heureux que l’on sache bien que cette forte volonté serait aussi ponctuellement obéie pour les choses graves, essentielles, — la navigation, la guerre, — sans quoi on se laisserait aller à penser, en souriant, à ces grands ballets bien montés, aux 1 500 jambes de l’Excelsior, se levant et s’arrondissant toutes avec la même grâce au même signal du metteur en scène.

Je remarque aussi le parfait, trop parfait asservissement de la lumière dans ces fragiles ampoules de verre des lampes électriques. Pas une lacune, pas un trou, pas une fluctuation dans ces interminables et correctes rangées de points lumineux. C’est… je ne sais comment dire… c’est de la lumière morte, figée au moins, et je me prends à regretter cette vivante, cette frissonnante mobilité des rampes à gaz, s’éteignant, se rallumant au moindre souffle. Feux follets, lutins, farfadets, qui jouez en courant, qui vous poursuivez accrochés aux saillies, aux frises, aux frontons, joyeux et mignons sujets de Titania la blonde, que l’on suivait des yeux, amusé, un peu inquiet, encore un peu de temps et vous ne ferez plus rêver que les poètes de sous-préfecture !

Quant au « combat naval, » peste ! c’est autre chose… Oh ! mes