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second enrage, les officiers hochent la tête, les maîtres se regardent d’un air ahuri...


Aujourd’hui, 12, à 1 heure, départ pour Cherbourg.


13 juillet, à Cherbourg.

L’appareillage de Brest, hier, a été aussi bien réussi que le mouillage. Toujours beau temps : c’est comme la note caractéristique de notre voyage. Cependant un peu de houle et presque de la brume au Nord du Four, le passage semé de roches, — pas toutes connues, — qui conduit de la baie de Brest dans la Manche en laissant le Conquet, l’Arérildut, l’Aberwach’ à droite, sur le continent, Ouessant et la dangereuse chaussée de Molènes à gauche, du côté de la haute mer.

Aucun incident. Au petit jour, nous nous sommes trouvés au Nord-Ouest des Casquets et des îles Normandes... des îles Anglaises ! Nous marchons lentement pour ne pas arriver trop tôt et pour nous former à peu près suivant le plan de mouillage adopté pour la rade de Cherbourg.

Voici, d’assez près, Aurigny et sa digue, excellent poste pour les contre-torpilleurs anglais. Voici la Hague et son grand phare, planté au milieu des roches mauvaises qui hérissent le raz Blanchart. Voici la côte Nord du Cotentin, relevée en pente douce, verte, riante, semée de maisons blanches et de clochers gris, et puis l’anse gracieuse de Saint-Martin, le beau vallon de Nacqueville et son château. Un peu plus loin, les premières batteries de Cherbourg, la nouvelle digue de l’Ouest enceignant le fort Chavagnac, robuste et trapu cylindre de béton, couronné d’énormes pièces. Derrière, un peu dans le gris, le fort du Homet, la grande digue et la « montagne » du Roule, avec sa citadelle.

Calme plat, un peu de brume à l’horizon ; soleil déjà chaud. C’est par un jour semblable de la fin de mai 1692 que Tourville s’avança, sur les mêmes flots, à la rencontre des Anglo-Hollandais. Il avait 44 vaisseaux, les alliés 90, et, si la partie lui paraissait inégale, nul ne le savait que le roi de France. Pourquoi donc, après toute une journée de lutte héroïque, sans avoir perdu un navire, sans avoir plié un moment, le vaillant capitaine se crut-il obligé, le lendemain, de se retirer ?

N’est vaincu que celui qui croit l’être ! Honteux du résultat de la bataille de la veille, nos adversaires n’eussent pas été plus heureux dans une seconde rencontre. En tout cas, mieux valait succomber