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Revenons à nos manœuvres. Le premier article du programme est changé : tir réduit en marche par escadre, sur buts-ballons, au lieu des mouvemens « tous à la fois. » Divers incidens retardent le tir. La Foudre nous ramone les officiers de l’Ecole supérieure, et il faut que chaque cuirassé fasse reprendre l’officier qui lui est attribué. Il y a de la houle, du clapotis ; les baleinières mettent du temps à gagner la Foudre\ l’embarquement des « malles de cuir » est laborieux, et les petits camarades jouissent du spectacle, bien à leur aise sur les passerelles des grands bateaux. Le cruel Lucrèce a toujours raison. Au reste, aucun danger sérieux.

Avec cela, les précautions à prendre pour le tir, — distance à mettre entre les divers groupes, — ne nous permettent de commencer qu’à 10 heures. Voilà un programme bien compromis, car on ne pourra se remettre en route que vers midi, et, si l’on veut passer le détroit pendant la nuit, il n’y a plus un instant à perdre en évolutions.


29 juin.

De l’autre côté du détroit. L’Océan est, ma foi ! plus clément que la Méditerranée, j’entends celle d’hier, de la côte du Riff, qui, après tout, n’était pas bien méchante. Au moment où j’arrive sur la passerelle, nous doublons Tanger en glissant sur des flots paisibles. Même pas de houle, ce qui est bien rare ici.

Tanger ? Cette grande tache blanche sur un fond d’un jaune sale, dans une buée grise ; voilà tout ce que j’en aperçois. Plus à l’Est, le Mont-aux-Singes, le pilier africain des colonnes d’Hercule, s’estompe de brumes, lui aussi. La côte espagnole, je la distingue à peine à la jumelle : voici cependant Tarifa, le point le plus Sud ; Algésiras peut-être, ou du moins la pointe Carnero. Quant au gros morne de Gibraltar, sa silhouette caractéristique se confond dans le gris avec les hautes terres des sierras de Ronda et de San Roque. Le Djebel-al-Tarik, le nid d’aigle du premier conquérant arabe de la terre d’Europe, n’est pas tout à fait dans le détroit, mais déjà sensiblement dans la Méditerranée.

Et l’armée ? L’armée se reforme en ordre serré après une nuit passée rigoureusement en ligne de file, tous les feux éteints. Ce souple ruban de 9 000 mètres s’est ployé, dans le sombre, tout le long de la rive africaine, pour échapper aux vues de la côte d’Europe. Mais, « en temps de guerre avec l’une des puissances