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LA RÉFORME DE LA SYNTAXE.

rait pas dit la même chose en prononçant : « Celui qui règne dans le ciel, — ou dans les ciels, — et de qui relèvent tous les empires. » Il est encore évident que ces vers d’Hugo :

Un frais parfum sortait des touffes d’asphodèle,
Les souffles de la nuit flottaient sur Galgala,

ne seraient pas ce qu’ils sont s’ils étaient ainsi modifiés :

Un frai parfun sortait dès toufes d’asfodèle
Lès soufles de la nuit flotaient sur Galgala.

C’est ce que ne sentent pas nos « réformateurs », et ce qu’il y a de plus irritant en eux, c’est qu’ils ne se doutent point qu’ils ne le sentent pas. Une graphie en vaut pour eux une autre, puisqu’elle n’a toujours pour objet que de représenter graphiquement un son, — graphicè depinxisti, comme dit M. Diafoirus, — et la prononciation au besoin corrigera l’impression de l’œil. Une tournure en vaut une autre, et même mieux qu’une autre, si par hasard elle est plus claire. Et pourquoi ne dirais-je pas qu’à leurs yeux, ou à leurs œils, un écrivain en vaut un autre, du moment qu’ils se font tous les deux également comprendre ? C’est précisément ce que n’admettront jamais ceux qui considèrent une langue comme une « œuvre d’art. » Ils continueront de croire que, dans une langue élaborée par cinq ou six siècles de culture esthétique, le mot a sa valeur en soi, qu’il a son « individualité ; » qu’il est, selon l’expression du poète, « un être vivant, » qu’on le mutile donc en en modifiant l’orthographe ; qu’un lis n’est plus un lys, qu’une enchanteuse diffère beaucoup d’une enchanteresse, que la scintillation des étoiles s’éteindrait si l’on écrivait désormais cintilation ; qu’il en est des locutions ou des tournures comme des mots ; que, si l’on supprime l’imparfait du subjonctif dans ce vers de Racine :

On craint qu’il n’essuyât les larmes de sa mère,

on en fait évanouir le charme ; et qu’en modifiant enfin la syntaxe ou l’orthographe, la première précaution qu’on doive prendre est de ne pas transformer le français de nos maîtres en une espèce de volapuk.

Malheureusement, — quand on ne voit dans une langue donnée qu’un moyen de communication ou d’échange des idées, — on n’en mesure donc aussi la perfection que sur ses caractères d’utilité