Page:Revue des Deux Mondes - 1900 - tome 161.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
10
REVUE DES DEUX MONDES.

Pour nous défendre, soldats, fusils, canons manquaient. De l’armée impériale, il ne restait en France et en Algérie que cinq régimens de ligne, six de cavalerie, une seule batterie montée. À peine 23 000 à l’effectif. Les troupes de dépôt ? Oui, 150 000 hommes, mais épars, dont 100 000 non-valeurs, recrues de la classe 69, ouvriers hors rang. Le matériel ? Des pièces rayées, mais seulement de quoi constituer 48 batteries, et encore disséminées aux quatre coins du territoire, sans leurs affûts ; au lieu des 26 000 chevaux qu’il eût fallu pour l’attelage, 1 800 seulement. L’armement ? Des chassepots, mais en nombre insuffisant ; des fusils à tabatière, mais discrédités. Munitions, équipement, habillement, campement, tout à créer, et dans une proportion gigantesque. Ajoutant à ces difficultés, la routine affolée, l’indiscipline dissolvante.

Le 15e et le 16e corps s’amassaient petit à petit, l’un à Nevers, Bourges, Vierzon, l’autre à Blois. Des dépôts sortaient escadrons et compagnies, formés au fur et à mesure en unités de marche. On enrégimentait de même, reconstituée en hâte, grossie des célibataires ou veufs sans enfans au-dessous de trente-cinq ans, la garde mobile, œuvre du maréchal Niel que l’incurie de Lebœuf avait laissée lettre morte. Mais, malgré le dévouement du général Lefort, l’activité du colonel Thoumas, tels étaient la pénurie, le décousu, qu’on vit longtemps des bataillons en blouse et en sabots ; on s’attachait à l’épaule avec de la ficelle des havresacs improvisés ; certains étaient sans baïonnettes.

Cependant les bureaux de la Guerre, établis au maréchalat avec force cloisons provisoires, ne désemplissaient pas. Offres généreuses ou suspectes, dévouemens spontanés : officiers et soldats prisonniers évadés à réintégrer, démissionnaires reprenant du service, civils en quête d’emplois, fournisseurs à l’affût de marchés, inventeurs prônant leurs merveilles. Partout, à la préfecture où, avec les services de l’Intérieur et les Finances, voisinaient les Postes et Télégraphes, à l’archevêché qui abritait dans ses combles les Affaires étrangères, au petit séminaire où fonctionnaient administration départementale et communale, hôpitaux, prisons, comptabilité, commission d’armemens, au lycée hébergeant la Marine, les Cultes, l’Instruction et les Travaux publics, au palais de Justice devenu son propre ministère, c’était le même tourbillon de zèles, d’ambitions, de convoitises, de rancunes, sous même couleur de patriotisme.

Pour achever de sacrer Tours capitale, délégation aussi de ce