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de Claude, le mari tue également en vertu de son droit. Mais quoi ! ce droit n’existe pas. La loi le conteste en termes exprès ; et l’erreur des romanciers réformateurs et des dramatistes sociologues vient de ce que, par ignorance du langage juridique, ils ont mal interprété ces termes. La loi déclare que « le meurtre commis par l’époux sur son épouse ainsi que sur le complice, à l’instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable. » Or, l’excuse ne supprime pas la culpabilité : elle l’affirme bien plutôt et sert uniquement à abaisser la peine. On peut même croire que, si le législateur a admis ici l’excuse, c’est pour atteindre plus sûrement le mari coupable de meurtre, et qu’il a prévu le cas où, plutôt que d’appliquer une peine trop rigoureuse, les tribunaux préféreraient renvoyer le mari indemne. Alexandre Dumas fils s’était fait le grand théoricien de la vengeance sentimentale. Il en a déterminé les circonstances et réglé les conditions. — Homme, si tu as épousé la guenon de Nod, tue-la ; femme, si tu as épousé le vibrion, tue-le ! — Cette légitimité ou cette légalité de l’assassinat a été son principal argument pour réclamer le rétablissement du divorce. Du jour, affirmait-il, où le mari pourra répudier la femme adultère, il n’aura plus de raisons d’exercer contre elle son droit de vengeance. L’expérience na pas justifié ces prévisions. Le divorce a été rétabli : on a continué de frapper l’infidèle. Le nombre des divorces augmente tous les jours : le nombre des vengeances maritales ne diminue pas. C’est que, la vengeance n’ayant jamais été un droit, elle n’a pu être remplacée par l’exercice d’un autre droit. C’est que, la vengeance n’ayant jamais été un acte raisonnable, elle continue à se passer de raisons : elle n’est qu’un effet de la colère qui se satisfait par le meurtre.

Encore la loi sociale peut-elle attribuer une u excuse » au meurtrier ; la loi morale ne lui en connaît pas. Le commandement est formel : « Tu ne tueras pas » ; hors le cas de légitime défense, quiconque y contrevient abdique son caractère d’homme. Attenter aux jours d’autrui, ce n’est pas toujours tuer sa victime, mais c’est sûrement tuer en soi la personne morale. Cette personne morale ne subsiste, et même elle n’est créée que par la domination de la volonté sur l’instinct. Les médecins eux-mêmes en tombent d’accord. « Les centres supérieurs, qui résident dans la région frontale, dit le docteur Magnan, règlent et modèrent les appétits et les instincts, qui ont pour base organique la vaste région située en arrière de la pariétale ascendante. » Qui donc prétend que la morale n’a pas de secours à attendre de la physiologie ? Et que souhaitent les moralistes les plus sévères, si ce