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les plus amoureux des hommes ou les plus énergiques, mais ils appartiennent à une classe sociale où les discussions ont tôt fait d’engendrer les coups. Chez les femmes, chez les jeunes filles, chez les enfans, si ce n’est pas la poussée du sang qui conduit au meurtre et au suicide, c’est la prédominance des nerfs. On remarque qu’il y a un rapport entre la recrudescence des crimes passionnels et le développement du nervosisme. Le nerveux, en effet, est à la merci de ses impressions. Il s’émeut, il souffre, il est incapable de réagir. Tantôt il devient la proie de l’idée fixe, et il ne trouve pas en lui la force suffisante pour en écarter l’obsession. Tantôt il cède à l’impulsion immédiate, et il ne parvient pas à mettre entre elle et l’acte qui suit le temps nécessaire à la réflexion. Dans les deux cas, c’est la volonté qui, anémiée, atténuée, impuissante, n’a pas rempli sa fonction. Brutalité ou nervosisme, violence ou impressionnabilité maladive, ce sont autant de noms de la faiblesse.

Sensualité qui voisine avec la cruauté, amour-propre blessé, égoïsme déçu, brutalité du tempérament, exaspération des nerfs, défaillance de la volonté libre, voilà ce que l’analyse révèle chez les auteurs de crimes passionnels : ce qu’elle n’arrive pas à trouver parmi les élémens dans lesquels leur acte se décompose, c’est un atome de véritable amour.

Une fois dépouillé de sa poésie mensongère, privé de sa fausse auréole, ramené à ses causes véritables et réduit à sa laideur foncière, il reste à apprécier le crime passionnel, comme on fait tous les crimes, au double point de vue du danger social et de l’infraction à la loi morale. Heureux, en vérité, les assassins par amour, puisqu’ils trouvent auprès des juges eux-mêmes, et des moins suspects de prévention en leur faveur, des excuses inattendues ! M. Proal les déclare moins dangereux que d’autres, car, dit-il, ils ne recommencent pas. Cette catégorie n’a pas de récidivistes. Une femme peut dormir sans crainte auprès de l’amant qui a tué la maîtresse qu’elle remplace. Qui a empoisonné n’empoisonnera pas. Le crime passé est ici une garantie pour l’avenir. Faible garantie, puisque, les mêmes conditions se trouvant réunies, les mêmes causes produiraient les mêmes effets. Il y suffirait d’une occasion. Pour établir d’ailleurs le danger du crime passionnel, il n’est pas nécessaire que l’assassin recommence, et c’est bien assez qu’il ait pu commencer. Songez en effet que, contre le criminel de profession, nous sommes en garde et nous avons certains moyens de défense : il y a des verrous aux portes, et des gendarmes au coin des rues. Contre les excentricités de l’amour, la société n’est ni avertie, ni